La Haute instance de communication audiovisuelle (Haica) a procédé mercredi 15 juillet à la mise sous scellé des locaux de la chaîne de télévision pro-islamiste Zitouna TV au motif de non respect de la réglementation en vigueur, malgré les multiples mises en demeure. La réponse de la chaîne n'a pas tardé avec un défilé d'animateurs et d'invités criant au scandale devant les caméras. La chaîne Zitouna TV créée en 2012 avec un capital de 30.000 dinars (15.000 €) par un apparatchik de la troïka, a été le fer de lance de la propagande islamiste et de l'ancien régime des CPR-Ennahdha. La principale tribune où l'on pouvait, librement et en toute impunité, promouvoir le radicalisme islamique, les potences pour les Tunisiens qui ne partagent pas ces opinions révolutionno-islamiques ou encore salir l'honneur des gens, sans aucun droit à l'opinion contraire. Et quand, par hasard, on invite une personnalité ayant une opinion différente, on essaie de lui dicter ce qu'elle doit dire, comme c'est le cas de nombreux invités qui ont juré ne plus tomber dans le piège de ses animateurs.
Aussi controversée soit-elle, la ligne éditoriale et la chaîne a son fidèle public que les différents instituts de sondage estiment à moins de 5% approximativement. Une audience trop faible pour convaincre les annonceurs. En trois ans, la chaîne a reçu très peu de commandes publicitaires et suscitent une grosse interrogation sur les origines de ses financements. Alors qu'une télévision ordinaire fonctionne avec un minimum de dix millions de dinars de recettes publicitaires, Zitouna TV continue à émettre sans que l'on sache d'où provient l'argent et comment la Banque centrale de Tunisie autorise le transfert régulier en devises des redevances de satellite. Contrairement aux autres chaînes tunisiennes et à ce que stipulent les articles 64 et 67 du cahier des charges, Zitouna TV émet de l'étranger ce qui a, d'ailleurs, empêché la Haica d'appliquer la loi en saisissant son matériel.
Au lendemain de la révolution, plusieurs chaînes TV et stations de radio ont été créées en l'absence de tout cadre juridique. Il a fallu attendre la naissance de la Haica, en 2013, pour qu'il y ait des cahiers des charges réglementant le secteur, et ce sous la houlette de la présidence de la République de l'époque et de Moncef Marzouki en personne. Au moment de leur publication, les cahiers des charges de la Haica encadrant la création et le fonctionnement des médias audiovisuels ont suscité de larges polémiques. Tout le monde, à quelques exceptions près, a fini par s'y soumettre toutefois, en attendant leur révision pour qu'ils soient conformes aux normes internationales en la matière. Zitouna TV figure parmi ces exceptions et elle a été sommée d'arrêter la diffusion en septembre 2014, juste avant les élections législatives et présidentielle. Une polémique est née et la Haica a dû se rétracter pour ne pas être accusée de favoriser un camp politique déterminé. A l'époque, et en dépit des lois absurdes exigeant une neutralité politique absolue des médias lors des élections, les chaînes télévisées ont, chacun à sa façon, bien aidé les partis et les candidats politiques à gagner les élections. D'une manière parfois implicite et souvent ouverte, Al Hiwar Ettounsi et Nessma ont favorisé la gauche laïque, alors que Zitouna TV, TNN et Al Moutawasset ont joué la carte CPR-Ennahdha. A l'exception de quelques amendes et d'avertissements pour ceux qui en ont trop fait, la Haica n'a pas vraiment sévi lors de ces élections. Il est vrai qu'il était difficile d'exiger des médias d'observer une neutralité totale par rapport à des projets politiques radicalement opposés.
Une fois les élections achevées, la Haica a cherché de nouveau à remettre de l'ordre dans le secteur et il lui a fallu attendre plus de six mois, entrecoupés de plusieurs avertissements, sommations et mises en demeure. Zitouna TV figure parmi les six chaînes qui ont été averties dernièrement à couper la diffusion des émissions en attendant que le gendarme de l'audiovisuel se penche sur le dossier qui lui a été remis. Dans une déclaration à Business News (voir notre article à ce sujet), l'animateur et journaliste de Zitouna TV, Salah Attia a défié l'instance de trouver une seule défaillance dans le dossier remis. CQFD. C'est que le dossier est épineux puisque la chaîne a un business model qui suscite plusieurs interrogations et exige un complément d'enquête. Oussama Ben Salem, fondateur de la chaîne et membre dirigeant d'Ennahdha, a vendu ses parts à une personne totalement méconnue dans le milieu médiatique. Serait-elle un prête-nom ? Impossible de prouver quoi que ce soit à ce stade. Le directeur de la chaîne, Sami Essid (photo du haut avec Mokdad Mejri), n'est pas plus connu par le grand public et ses apparitions télévisions sont des plus rares. On l'a cependant vu, mercredi 15 juillet, et son discours assez immature et presque enfantin, ressemble plutôt à celui d'un fils à papa, qu'à un homme d'affaires et patron de média (cliquer ici pour voir son intervention en vidéo). De quoi alimenter la suspicion qu'il n'est qu'un prête-nom. Après avoir exigé et obtenu le départ de Ben Salem, et après avoir obtenu les documents demandés, la Haica a demandé d'auditionner les nouveaux patrons et du temps pour pencher sur l'ensemble des documents remis et vérifier leur contenu et leur authenticité. D'après un proche de la Haica, les dirigeants auraient refusé de se soumettre à la convocation, ce qui a poussé l'instance à décider puis appliquer les mesures radicales.
Sur antenne, les animateurs de Zitouna TV et leurs invités continuent à défier ouvertement l'instance. On se rappelle encore, il y a quelques mois, de cet animateur qui a déchiré en direct le cahier des charges déclarant que sa chaîne ne s'y soumettra jamais. Il y a trois jours à peine, le très controversé révolutionnaire Imed Deghij dénigrait en direct la Haica la traitant de « Heycha » profitant de la résonnance du mot en arabe. Heycha voulant dire bête. L'animateur de la chaîne islamiste a repris le mot à son compte qui, depuis, fait le bonheur des réseaux sociaux islamistes et révolutionnaires. Plusieurs figures connues des milieux révolutionnaires, ayant participé à la campagne présidentielle de Moncef Marzouki, citaient nommément des membres de la Haica pour salir leur honneur et les insulter. Hichem Snoussi et Amel Chahed ont été les principales cibles de ces insultes d'une bassesse jamais atteinte, même par les sbires de l'ancien régime de Ben Ali. Mercredi 15 juillet, c'est l'apothéose avec un direct défiant l'ordre de fermeture de la chaîne et la mise sous scellé des locaux. Profitant de sa diffusion depuis l'étranger, Zitouna TV lance un appel à ses fans de venir la soutenir devant les locaux. Entre deux interventions de dénigrement, un chant révolutionnaire et des témoignages de soutien de leaders politiques islamistes et du CPR.
Le hic réside surtout dans l'identité de l'animateur et de ses invités. Alors que la chaîne a toujours prôné la probité et la liberté d'expression, on retrouve à l'animation un Mokdad Mejri épinglé pour avoir obtenu un marché public de gré à gré, en marge du scandale de l'ancien ministre des Affaires étrangères. Le même qui a fait la révolution en pleurant dans son balcon et qui, hier, « pleurait » devant la caméra. Parmi les invités de ce mercredi 15 juillet, des personnes connues pour leur volonté de couper la parole à tous les contre-révolutionnaires et anti-islamistes. Imed Daïmi et Adnène Mansar, les deux principaux leaders du CPR et anciens chefs de cabinet de la présidence de la République, balaient d'un trait les arguments de la Haica d'appliquer la loi et de la laisser enquêter sur des dossiers où il y a plusieurs suspicions. Argument brandi : liberté d'expression. L'argument pourrait tenir debout, s'il était prononcé par quelqu'un qui, il y a à peine quelques jours, n'injuriait pas Sofiène Ben Hamida, Hamza Belloumi, Noureddine Ben Ticha et Insaf Boughediri pour un montage-vidéo transformé, par ces « défenseurs de liberté » en faux et usage de faux. Le même Imed Daïmi qui, régulièrement, injurie les médias qui lui sont opposés en les accusant de corruption et de machination dans les antichambres. Ils ne sont pas les seuls. Le même argument de liberté d'expression est brandi par des gens qui se sont toujours inscrits aux abonnés absents, quand les « médias du camp adverse » étaient victimes de certaines décisions qu'elles soient arbitraires ou justifiées. Sont passés Noureddine Bhiri, Houcine Jaziri, Yamina Zoghlami, appartenant tous au même parti qu'Oussama Ben Salem, lequel n'appartient plus (sur papier) à Zitouna TV. Le critique et homme de médias Khemais Khayati rebondit sur les interventions de ces hommes politiques par une phrase laconique qui en dit long : « Je conclus que, soit ces gens n'ont pas vu le dossier et se doivent de se taire. Soit ils l'ont lu et ils sont en train de mentir aux Tunisiens et ceci pourrait être leur caractère ».