Les échanges de critiques et de justifications se poursuivent de plus belle entre la Haica et certains dirigeants des médias audiovisuels privés qui appellent à la révision des cahiers des charges du secteur élaborés par l'instance. Evaluation dans une année, selon la Haica. La publication des cahiers des charges relatifs à l'octroi, à la création et à l'exploitation de radio ou de télévision privée ou associative, par la Haica (Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle), a suscité un grand mécontentement. Cela notamment de la part des chaînes de radio et de télé confirmées (Mosaïque FM, Hannibal TV, Nessma TV, etc.) mais aussi d'autres qui ont vu le jour après la révolution telle la chaîne de radio Sabra FM. Aussi le Syndicat tunisien des dirigeants de médias a-t-il considéré dans un communiqué «que ces cahiers des charges constituent un indice dangereux pour assujettir les médias et frapper leurs acquis». Plusieurs griefs sont reprochés à la Haica par les patrons des médias audiovisuels privés. D'abord, la Haica n'a pas impliqué les dirigeants de chaînes à l'élaboration des cahiers des charges. Interrogée, Rachida Neïfer, membre de la Haica, réplique : «Nous avons organisé huit ateliers et conférences nationales et régionales où nous avons invité tous les médias et les ONG (organisations non gouvernementales) outre des ateliers spécifiques avec les patrons et techniciens des médias, les cinéastes et autres. Or, les dirigeants des médias privés ont soulevé, lors de la conférence, uniquement la question de la participation importante et nécessaire des capitaux étrangers dans une entreprise audiovisuelle nationale, ce que la Haica a accepté jusqu'à hauteur de 50% mais à deux conditions : le respect de la souveraineté nationale et l'obligation du transfert technologique. Mieux, nous avons consulté et accueilli les dirigeants des médias audiovisuels privés et ils nous ont fait part de leurs remarques et demandes par écrit dont nous avons tenu compte». D'autres reproches concernent la durée de l'autorisation ou de la licence octroyée aux médias audiovisuels, l'interdiction de bénéficier de plus d'une licence pour créer une chaîne de télé privée, ainsi que l'interdiction d'appartenance à un parti politique faite aux dirigeants de médias. Pour répondre à tous ces points soulevés et à d'autres, nous avons donné la parole à Hichem Snoussi, autre membre de la Haica : «Concernant la durée de la licence, nous nous sommes référés aux standards internationaux. La durée est, ainsi, soit de 5, 7 ou 10 ans. Car il n'y a pas de licence définitive d'autant qu'elle peut être retirée si le média en question ne diffuse pas dans la continuité ou s'il est l'objet de sanctions successives. Maintenant, en ce qui concerne l'interdiction de bénéficier de plus d'une licence de télé, cette disposition est un moyen de régulation contre la concentration des chaînes. Si l'on prend en exemple le paysage audiovisuel français, on y trouve de grandes chaînes et de petites chaînes, ce qui garantit la pluralité et la diversité du paysage audiovisuel. Pour l'article interdisant l'appartenance des dirigeants de médias à un parti politique, c'est une manière d'éviter qu'ils ne tirent avantage en faisant de la publicité politique sur leur propre chaîne. Mais comme tout citoyen, ils ont le droit de se présenter aux élections législatives ou présidentielle en tant que candidat indépendant. D'autres critiques, comme vous le savez, ont été faites à ces cahiers des charges mais je réponds que c'est la première fois que des cahiers des charges dans le secteur des médias audiovisuels ont vu le jour dans le monde arabe. Cela sans compter que désormais, il n'existe plus de monopole de fréquence et que pour la première fois, la relation entre les journalistes et les patrons des médias privés devra être définie dans une charte. Bref, l'esprit de ces cahiers c'est d'éviter la concentration et le monopole des médias par les grands promoteurs aux dépens des petits. Le but étant également d'assurer aussi bien l'autorégulation que la régulation». Le temps de pub : le nœud gordien Toutefois, au-delà de tous ces points, le nœud gordien n'est autre que le temps d'insertion publicitaire par heure. La Haica l'a fixé à 8 minutes par heure et à 12 mn par heure pour le mois de Ramadan, ce que rejettent certains dirigeants de chaînes audiovisuelles. «Or, selon Hichem Snoussi, dans plusieurs pays démocratiques et avancés, le temps d'insertion publicitaire par heure avoisine les 8 minutes. Il est de 8 minutes en France et en Italie, il est désormais de 9mn depuis 2014. D'ailleurs, Mohamed Kamel Robbana, directeur fondateur de Radio Oxygène FM, et président de la Chambre nationale des radios privées dépendant de l'Utica, a déclaré hier «qu'il n'est pas question de revenir sur les 8 mn/heure fixées par la Haica». Nous avons opté pour ce chiffre qui a été fixé après une étude approfondie afin que le contenu ne soit pas au service de la publicité» «Enfin, l'obligation des médias audiovisuels de présenter à la Haica leur bilan annuel ainsi que leurs recettes et dépenses n'est pas fortuite, selon Rachida Neifer, car il s'agit là de lutter contre le blanchiment d'argent. Est-il normal qu'un média déclare un chiffre d'affaires d'un milliard et dépense 12 milliards ? D'où vient la différence ? L'objectif dans cette période de transition démocratique est de lutter contre tout abus. Nous ne jouons pas aux autorités fiscales et nous sommes tenus par le secret professionnel. Il n'est pas vrai non plus que nous intervenons dans la ligne éditoriale et les programmes des chaînes mais nous devons être informés de cette ligne pour l'identification de la chaîne et pour une question de visibilité et de transparence. En tout cas, il y aura une évaluation de l'ensemble de ces points au bout d'une année». Et les médias audiovisuels pirates et publics ? Qu'en sera-t-il? Hichem Snoussi indique «que tous les dossiers des chaînes radio et télé qui émettent sans autorisation ni licence seront étudiés et qu'un cahier des charges des médias audiovisuels publics sera bientôt élaboré dans un esprit de corégulation. L'important, maintenant, aussi bien dans le secteur public que privé, est de garantir les droits et le respect des téléspectateurs. Un partenaire capital qu'on ne doit pas négliger». Mais n'est-il pas temps de créer un vrai débat en évitant de se renvoyer la balle, chacun de son côté ? Assurément.