Le lion a frappé ! Enfin, Habib Essid a sévit et il a limogé…l'un de ses meilleurs ministres… Il ne fallait pas en espérer plus. Le chef du gouvernement s'est fendu d'un communiqué pour annoncer le limogeage de Mohamed Salah Ben Aïssa, ancien ministre de la Justice. Il est vrai que l'ancien ministre de la Justice était un peu trop rigide et un peu trop libre. Il a osé exprimer des avis tranchés et des opinions libres. Par exemple, sa position en faveur de la suppression de l'article 230 du code pénal concernant la condamnation de la sodomie. Ce n'est pas dans nos traditions ni dans nos habitudes de parler de ces choses là… Les pédés, il faut les foutre en prison ! C'est le gouvernement qui le dit et donc, le ministre de la Justice doit s'y conformer. Même Béji Caïd Essebsi a donné de la zamakhchareyya sur le sujet…
D'autres reprochent à l'ancien ministre d'avoir évoqué en commission à l'Assemblée certaines pressions américaines. Il a eu le temps, depuis, d'éclaircir cette histoire qui ne mérite pas tant de tapage. Donc le problème serait ses déclarations à la presse ?
Si c'était le cas, Habib Essid se retrouverait bien seul dans son gouvernement. Créer une agence pour les moustiques, couper le drapeau en petits morceaux pour le distribuer aux régions défavorisées, annoncer que la sécurité est au point quelques jours seulement avant l'attentat de Sousse… Si chaque ministre qui a dit une chose qui n'a aucun sens devait être viré, il n'y aurait plus de gouvernement...ou presque.
On dit aussi que ce limogeage est relatif au fait que Mohamed Salah Ben Aïssa s'est absenté d'une plénière de l'Assemblée concernant la loi du conseil supérieur de la magistrature. D'abord, on a dit que c'était une absence-surprise, et que c'est pour ça que le ministre a été limogé. Mais il s'est avéré que ce n'était pas vrai. Il s'est avéré que le ministre avait bien informé le chef du gouvernement du fait qu'il ne souhaitait pas assister à cette réunion. Pourquoi ? Le ministre a dit à son chef, le lion, qu'il n'était pas convaincu par le projet de loi tel qu'il sera discuté à l'Assemblée. Il a ajouté que sa présence donnerait une couverture politique à un projet de loi qu'il ne cautionne pas et avec lequel il n'est pas d'accord. Jusque là rien de révoltant, pourtant ça a été « la goutte d'eau »…
Mais bon, il faut dire que Mohamed Salah Ben Aïssa s'est montré naïf. Il a osé priver d'approbation politique un arrangement difficilement obtenu entre Nidaa et Ennahdha. Il est vrai que le texte discuté en plénière n'a plus rien à voir avec le projet présenté par le gouvernement et donc par le département de la Justice. Il est vrai qu'il n'y a plus rien de commun entre la conception du ministère et celle concoctée en commission par les élus. Mais l'ancien ministre de la Justice aurait dû avaler cette couleuvre. Il aurait dû faire comme son « collègue » des Affaires étrangères, qui en a avalé des couleuvres pendant des mois sans broncher. Il aurait dû mettre sa conscience de côté pour venir à l'Assemblée perdre une journée à écouter les élucubrations des élus sur le projet du CSM mais aussi sur plein d'autres sujets. Les élus ne vont pas, c'est sûr, se limiter au sujet du jour.
Etre ministre de la Justice en Tunisie, avoir une conscience avec un soupçon de courage, ça donne un cocktail explosif. Un cocktail qui réduit considérablement l'espérance de vie d'un ministre dans le gouvernement Essid. Et puis, il faut bien l'avouer, Mohamed Salah Ben Aïssa est la victime idéale pour que Habib Essid fasse comme s'il avait de la poigne. C'est que la solidarité gouvernementale est un principe indiscutable. Chaque ministre devrait avoir le talent de Habib Essid pour faire les mêmes contorsions.
Il ne faut pas rigoler avec le lion. C'est un pur produit de l'administration tunisienne. C'est le genre de fonctionnaire qui te fait revenir le lendemain pour un cachet pas clair ou pour une photocopie de carte d'identité. C'est un enfant de cette administration sclérosée, allergique au changement et incapable d'innovation. Alors, dans ce cadre, avoir un ministre qui dit ce qu'il pense, c'est tout bonnement intolérable !