C'était une belle rencontre de bonhommes, des mecs, des vrais. C'était une rencontre pleine de testostérone entre Béji Caïd Essebsi et Abdelfattah Al Sissi. Ils se sont échangés de franches poignées de main et se sont installés en tribune pour regarder un défilé militaire avec des missiles très…phalliques. Grisé par tant de « masculinisme », notre président a donné une interview à la chaîne égyptienne CBC. Une phrase de cette interview a servi à montrer qu'on était bien en présence d'un homme, un vrai. Il a déclaré que l'article 230 du code pénal qui pénalise la sodomie et par voie de conséquence, l'homosexualité, ne sera ni révisé ni abrogé ! En plus, les propos du ministre de la Justice, qui est pour la suppression de cet article, n'engagent que sa personne selon le président de la République.
Il faudrait aussi réécouter la question de la journaliste qui estime que la volonté de dépénaliser l'homosexualité nous rapprocherait de l'occident. On comprend l'inquiétude de la journaliste, comment osons-nous se rapprocher de l'occident ? Il faudrait plutôt se rapprocher de pays qui voient plus de 700 morts dans une fête religieuse ou un pays, comme le sien, qui condamne les gens à mort par fournées de 100. Bah oui, c'est beaucoup mieux…
Revenons à notre président. Il faut dire qu'il est fort,Béji Caïd Essebsi. D'un revers de la main il a balayé la Constitution, le parlement et un ministre ! Mais attention, il ne faut pas le critiquer. C'est un politicien hors pair et on ne peut pas toujours comprendre ce qu'il fait, nous pauvres incultes. En fait, il a dit ça pour faire bonne figure devant les Egyptiens qui sont un peu plus coincés que nous par rapport à ce genre de questions. Les supposés homos sortis d'un hammam nus dans la rue par la police et devant les caméras pourraient en attester…
Il ne faut pas lui en vouloir aussi à notre président. On n'est pas tout seuls, il y a un contexte mondial. Il y a Poutine là-bas qui montre qu'il en a dans le pantalon. Obama en face qui ne semble pas vouloir se laisser faire. Al Sissi qui pilote son pays d'une main de fer après avoir anéanti toute espèce de contestation au moins intérieure. Bachar Al Assad qui se maintient au pouvoir malgré tout. Donc, il fallait bien que Béji Caïd Essebsi fasse quelque chose !
Ses méchants détracteurs vont tout de suite dire que la dépénalisation de l'homosexualité n'est pas une « fleur » que fera le président ou l'un des ministres. On dira que c'est la simple application de la Constitution que BCE avait juré de protéger et de respecter. Mais soyons réalistes, ce ne sera pas la première fois que la Constitution est mise à mal et puis, apparemment, on n'est pas encore mûrs pour la liberté de conscience et ce genre de choses. Il faudrait plus retenir la fermeté de notre président, la poigne avec laquelle il soutient le fait que l'Etat s'introduise dans les chambres à coucher des gens ! Voilà un leader qui n'hésite pas et qui avance ! La manière avec laquelle il a brandit le « lan » zamakhchareya* pour dire que ça n'arrivera jamais donne des frissons !
On devrait ressentir de la fierté en voyant notre président défendre avec autant de poigne nos valeurs arabo-musulmanes. On devrait pleurer en voyant le président de notre République se désintéresser des choses matérielles comme l'économie, les finances, le chômage et s'intéresser à des questions philosophiques comme la liberté sexuelle des citoyens. Une noblesse devenue rare dans nos contrées !
On devrait nous estimer heureux quand même. L'Etat ne va pas encore s'effondrer comme le président le craignait après l'attentat de Sousse. Et puis, encore heureux qu'il n'ait pas dit que « ce ne sont que des pédés… ». Vive notre président clairvoyant, intelligent et ferme !
* Le « Lan zamakhchareyya » peut être traduit par un « jamais » définitif et irrévocable. La dénomination vient du linguiste arabe Zamakhchary.