Cinq ans après la révolution, le slogan « Travail ! Dignité ! » est toujours d'actualité. Le chômage continue de grimper et les espoirs des milliers de chômeurs se transforment crescendo en frustration et colère. Le gouvernement ne s'attaque pas aux racines du fléau. Il applique plutôt des mesures de rafistolage. La situation n'a pas beaucoup changé. Le discours officiel non plus. Depuis son arrivée à la Kasbah, le gouvernement Essid, répète, à l'instar de ses prédécesseurs, être sensible à la souffrance des jeunes diplômés chômeurs, promettant de faire le nécessaire pour les aider. Qu'en est-il de ces promesses? C'est Zied Laâdhari, ministre Ennahdha, qui dirige le département de l'Emploi et de la Formation professionnelle au gouvernement Habib Essid. Sa politique de l'emploi tourne essentiellement autour d'un projet baptisé « Forsati » (ndlr : Ma chance). Il s'agit, décrit-il, d'un programme de « formation » et d' «accompagnement personnalisé » où l'on procède à un bilan de compétences pour chaque candidat. Le but étant d'identifier les lacunes pour pouvoir, ensuite, travailler dessus. Des formations en langues étrangères, en informatique et en culture d'entreprise sont prévues à cet effet. Pour cette année 2016, l'objectif sera de former 50 mille demandeurs d'emploi, « en attendant que les réformes structurelles, déjà entamées, de la formation et du modèle économique produisent leurs effets », indique Zied Laâdhari lors de son passage radio en octobre dernier sur Express Fm. Sur les critères d'admission à ce programme, il explique que son département prendra en considération plusieurs facteurs, en particulier, la motivation du candidat, sa disponibilité, l'ancienneté de son diplôme et la précarité de sa situation sociale. Les inscriptions à « Forsati » se font par internet et la durée de la formation varie entre 3 mois et un an, selon la spécialité. Les inscrits à ce cursus auront droit à une prime mensuelle de 100 dinars, apprend-t-on aussi.
De pareilles formations peuvent être utiles dans la lutte contre le chômage, mais demeurent, néanmoins, insuffisantes. La création d'emploi ne dépend pas uniquement de la qualité de la main d'œuvre disponible. « Elle est aussi liée à la croissance économique réalisée», affirment plusieurs experts. Sauf si l'on songe à créer des emplois indus, sous la pression de la rue, comme ce fut le cas ces dernières années. La croissance aussi ne peut pas, à elle seule, tout régler. Au meilleur des cas, le maximum d'emplois qu'on peut obtenir, pour chaque point de croissance, ne dépasse pas les 20 mille postes, d'après Radhi Meddeb. Ainsi, il faut essayer d'autres idées. L'expert propose, à ce propos, de miser sur l'Economie Sociale et Solidaire (ESS). « C'est un secteur qui a déjà fait ses preuves en matière de création d'emplois, soutient-il. En France, 9 emplois nouveaux sur 100 sont le fruit de l'ESS. Dans les pays scandinaves, ce taux s'élève à 24%. Quant au Japon, la plus grande société d'assurance est la mutuelle des pêcheurs ».
Par ailleurs, le problème du chômage ne semble pas toujours abordé avec le sérieux qu'il mérite. Les propositions « farfelues » de Hechmi Hamdi pourraient en attester. Le patron du Courant Al-Mahaba, revendique une allocation de 200 dinars pour chaque chômeur en Tunisie (environ 600 mille chômeurs) en contrepartie deux jours de travail par semaine. Il a même conduit une manifestation dans ce sens à l'avenue Bourguiba à Tunis lors de laquelle il a menacé d'occuper, avec ses partisans, la place de la Kasbah si sa demande n'est pas exaucée dans le délai d'un mois. Hier également, le propriétaire de la chaîne étrangère Al Moustakilah commente sur sa page les derniers événements de Kasserine. Il jette de l'huile sur le feu. « Si le gouvernement têtu. Le gouvernement de la pauvreté et du chômage avait appliqué les recommandations du Courant Al-Mahaba, en augmentant l'impôt pour les riches et en payant une prime aux chômeurs, les choses n'auraient pas pris une tournure pareille », a-t-il écrit.
Pendant que des pseudo-politiques surfent sur le chômage et alors que le gouvernement ne fait rien de palpable pour arranger les choses et améliorer le quotidien des chômeurs, la frustration monte chez cette catégorie au point d'arriver à l'explosion. Un chômeur est mort électrocuté samedi dernier à Kasserine alors qu'il montait sur un poteau électrique et menaçait de se suicider. Le jeune homme s'appelait Ridha Yahyaoui. Il protestait parce que son nom aurait été retiré de la liste d'attente d'un concours de recrutement.
Suite à son décès, des émeutes ont éclaté à Kasserine. Cela a commencé dimanche, 17 janvier, par une attaque avec des pneus brulés contre le siège du gouvernorat, avant de dégénérer en vifs affrontements, hier, mardi, entre les manifestants et la police qui a riposté au jet de pierres par des tirs de gaz lacrymogène. Au vu de cette situation, un couvre-feu a été décrété dans la ville. Il débutera le même jour et s'étendra de 18h à 5h du matin.
Dans les circonstances présentes, résorber le chômage est une mission ardue et complexe. L'économie pâtit de l'incertitude sécuritaire régnante, les investissements étrangers se font de plus en plus rares et le tourisme porte toujours les séquelles des derniers attentats. Toutefois, et jusqu'à présent, le gouvernement n'a pas encore montré une réelle volonté de changer ce vécu. Il est resté coincé dans les anciens procédés, alors que de telles circonstances nécessiteraient des solutions particulières.
A la fin de son règne, Ben Ali était incapable de créer assez d'emploi. La Troïka également n'a pas fait mieux. Résultat : ils ont été tous les deux éjectés du pouvoir. Si le gouvernement continue sur cette même lancée, il risquerait le même sort que ces prédécesseurs.