Il ne reste que 3 mois avant le début du pèlerinage de la Ghriba à Djerba et des remous religieux ont déjà commencé à agiter la petite île. Jeudi 16 février dernier, un sit-in a été organisé devant l'Oscar, un des 12 resto-bars qui servent de l'alcool dans la médina de Houmt Souk. Une vingtaine d'hommes, avec à leur tête 4 « activistes », se sont autoproclamés police des mœurs et ont bloqué l'artère principale de la ville pour exprimer leur mécontentement suite au renouvellement de la licence d'alcool de l'établissement. Licence, qui a pourtant été obtenue légalement. Cet incident, pourtant violent, a été classé sans suite par les autorités tunisiennes. « Djerba : Un restaurateur juif harcelé par des extrémistes religieux ! » ; « Le suicide économique et l'antisémitisme de Djerba ! » ; « Djerba : Harcèlement antisémite contre le resto bar l'Oscar » ont titré plusieurs médias israéliens suite au sit-in qui a eu lieu devant le restaurant bar situé à Houmt Souk. Le P'tit Hebdo de l‘actualité israélienne et française, le site d'information The Times of Israël, le Monde Juif.info, la Tribune Juive.info, la Ligue de défense Juive.com, Judaisme.niooz.fr… ainsi que des médias tunisiens ont donc commenté et relayé cette information mais selon une approche différente. Selon les médias israéliens, les sit-inneurs étaient des islamistes alors que pour les médias tunisiens cette affirmation n'a pas pu être vérifiée. Alors que cache le sit-in de l'Oscar et qu'en ai-t-il des faits ?
Harry Bitten, est un jeune restaurateur tunisien de confession juive qui habite à Djerba. Sa famille y vit depuis plusieurs générations. Il est propriétaire du resto bar l'Oscar situé à Houmt Souk depuis les années 2000. Durant un temps, l'établissement avait fermé ses portes pour rénover les lieux et rouvrir il y a de cela 3 mois. C'est cette réouverture qui sous-entend le renouvellement de la licence d'alcool qui a été la cause du sit-in du 16 février 2017. Suite au blocage de l'avenue Habib Bourguiba de Houmt Souk, malgré son illégalité, paisiblement encadré par les sécuritaires de Djerba et suite au sit-in, Harry Bitten est donc sorti de son silence. Dans une vidéo postée sur Dailymotion et adressée à l'Association tunisienne de soutien aux minorités (ATSM) http://www.dailymotion.com/video/x5c3lar_un-restaurateur-juif-harcele-par-des-extremistes-religieux_news, le propriétaire a dénoncé la campagne menée par ses détracteurs contre son restaurant. Il a expliqué que les personnes qui l'ont attaqué "n'aime pas les juifs ni la Tunisie" et qu'en réalité "elles sont contre la consommation d'alcool et le tourisme de façon plus globale". Au nom de la minorité juive en Tunisie, Harry Bitten a également appelé à mettre fin aux menaces physiques et verbales contre les juifs comme celles observées, le jour du sit-in, sur un conducteur qui voulait passer par l'avenue bloquée. Il a également appelé à surveiller de près les menaces réelles de destruction de son établissement.
En effet, dans la vidéo filmée par le journaliste de Djerba Online http://www.businessnews.com.tn/houmt-souk-en-colere-suite-au-renouvellement-de-la-licence-de-debit-de-boissons-alcoolisees-dun-resto-bar,520,70323,3 , qui s'est répandue comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux, l'hostilité de la vingtaine de protestataires, bien remontés et se croyant dans leur bon droit, fait état des violences décrites par M.Bitten. Ceux-ci ont invoqué une panoplie de raisons pour justifier le déménagement de ce qu'il qualifie comme étant "un cabaret douteux " dans la zone touristique de l'île. Outrage aux bonnes mœurs, exhibitionnisme, atteintes aux valeurs musulmanes de la communauté de Houmt Souk, mauvais exemple donné par les clients aux jeunes qui passent sur la même rue, troubles à l'ordre public, suicide, illégalité de la licence d'alcool... Autant d'accusations saugrenues qui paraissent insensées d'autant plus que l'établissement a obtenu toutes les autorisations légales de la part des autorités compétentes pour ouvrir ses portes et accueillir ses clients. De plus, l'Oscar fonctionne de façon identique à un resto-bar de Sousse ou de Hammamet…
Cette hypocrisie a été dénoncée et mise en exergue par le militant tunisien de la communauté juive, Elie Trabelsi http://www.businessnews.com.tn/elie-trabelsi--le-sit-in-contre-le-resto-bar-loscar-est-hypocrite-et-raciste,520,70325,3. Faisant valoir que, dans le quartier où se situe l'Oscar, il y a près d'une douzaine de bar Elie Trabesli a mis en évidence le racisme anti- juif du sit-in et a appelé à "libérer Djerba des esprits malades" qui menacent sa quiétude.
Dans une déclaration accordée à Business News, René Trabelsi, le patron de Royal First Travel et infatigable militant en faveur de son île et du tourisme tunisien, s'est exprimé sur ces récents événements en appelant à l'apaisement. Il a de prime abord indiqué que les contestataires auraient pu porter plainte auprès des autorités compétentes au lieu de bloquer l'avenue principale de Houmt Souk. Il est également revenu sur l'identité des contestataires en mentionnant que les manifestants n'étaient pas tous originaires de l'île "un homme originaire de Médenine est venu revendiquer ses droits lors du sit-in"... A la tête de ce groupuscule, "il y avait 4 activistes", dont un « louagiste » et un représentant de l'UTICA a précisé M.Trabelsi. A propos de ce dernier, il s'est interrogé "Que fait un représentant de l'UTICA au milieu d'une telle mascarade?" René Trabelsi a également évoqué la présence « d'une douzaine d'autres resto-bar servant de l'alcool autour de Houmt Souk et à l'intérieur de la ville » et qui, eux, n'ont pas été inquiétés. "Il n'y a pas d'habitations dans cette zone" a-t-il expliqué, seules 3 stations-service et une station de louage sont à proximité. Quant à l'Oscar, il a précisé qu' "Aujourd'hui, le ministère de l'Intérieur et celui du Tourisme ont doté le propriétaire des lieux de toutes les autorisations pour servir de l'alcool légalement. De plus et à ma connaissance, il n'y a pas eu de problème de voisinage auparavant". Il parait, en effet, que revendiquer le renouvèlement de la licence de l'Oscar revient à revendiquer la décision des autorités tunisiennes qui ont estimé que ce bar avait le droit de servir de l'alcool aux citoyens. M.Trabelsi a par ailleurs insisté sur le fait qu'il ne fallait pas « envenimer ce fait divers " mais que l'incident n'est pas dénué de violence et n'est pas non plus "anodin" . " J'appelle au calme et à la sagesse car ce type d'incident peut éveiller des âmes mal intentionnées" a-t il avertit ajoutant qu' "Il y a un message négatif qui se dégage de ce type d'évènement à la fois au niveau économique et touristique. Paradoxalement, l'Oscar, est complet tous les soirs depuis cet incident et une vague de solidarité s'est formée de la part des riverains". René Trabelsi a également exhorté toutes les parties, l'Etat tunisien inclus, à prendre ses responsabilités et à réprimer l'apologie de la violence rappelant que la population de l'île vit à 80% du tourisme. Il a, par ailleurs, fait un parallèle avec l'approche des festivités du pèlerinage annuel de la Ghriba et la levée de bouclier islamiste souvent observée durant cette période.
"Les juifs, Dieu vous en préserve!" avait malencontreusement déclaré le 24 janvier 2017 une députée en séance plénière à l'ARP http://www.businessnews.com.tn/une-deputee-a-larp-les-juifs-dieu-vous-en-preserve-,520,69832,3. Des propos antisémites qui ont scandalisé une frange de la population tunisienne et pour lesquels la députée s'était vivement excusée http://www.businessnews.com.tn/asma-abou-el-hana-avec-aviay-hattab-et-houssam-berry--nous-sommes-tous-tunisiens,520,69891,3. Ayons également le courage d'admettre et de lever le voile sur le racisme que véhicule notre Constitution dont "l'article 74 interdit à nos concitoyens de confession juive de briguer la présidence de la République, juste parce qu'ils sont juifs" avait déclaré le député du bloc Al Horra, Sahbi Ben Fredj soulignant que" le juif tunisien est un citoyen de second ordre par la Constitution". http://www.businessnews.com.tn/sahbi-ben-fredj--ayons-le-courage-davouer-que-notre-constitution-est-raciste,520,69853,3
Alors le repli de la communauté juive, présente depuis plus de deux millénaires en Tunisie, est-il à blâmer? Les brimades et discriminations qu'elle subit ne doivent plus seulement être dénoncées. Soutenir concrètement cette minorité tunisienne implique désormais que le législateur ait le courage de codifier les droits que la Tunisie décidera de leur conférer explicitement.