Assis devant leurs postes de télévision, les Tunisiens ont consommé, ces derières années, d'innombrables séries turques accompagnées de « glibettes », turques aussi! Cultivées dans le nord-ouest du pays, les graines noires de tournesol ne se sont plus vendues avec l'arrivée des graines blanches, turques. Le dos au mur, les producteurs ont alors fait grève. Des « glibettes » aux marques de vêtements, en passant par le cirage pour chaussures, les produits importés de Turquie remplissent aujourd'hui les rayons de supermarchés et petits commerces. La polémique enfle et les plus « visionnaires » regardent l'histoire et parlent de recolonisation ottomane. Mais qu'en est-il réellement ?
Compte tenu de l'accord commercial signé avec la Turquie par Mondher Zenaidi et son homologue turc, Kürşad Tuzmen, le 25 novembre 2004 et qui prévoit la libre circulation des marchandises entre les deux pays, les biens turcs ont pu pénétrer massivement le « petit » marché tunisien. Après l'accession des islamistes au pouvoir en 2012, les importations en provenance de Turquie ont explosé mais sont restées contenues, comparées aux volumes d'échanges avec la France ou l'Italie, partenaires stratégiques du pays. Entre 2015 et 2016, ces importations ont affiché un accroissement net de 19%, passant de 1.544 MD en 2015 à 1.838 MD pour l'année 2016. Quant aux exportations, elles sont passées de 206 MD à 356 MD, pour la même période. Soit un accroissement de 72%.
Selon ces chiffres fournis par l'Institut National de la Statistique (INS), on peut remarquer que le taux de couverture entre importations et exportations vers la Turquie pour l'année 2016 est de 10%. Celui avec la France dépasse les 144%, selon les mêmes données. Ne voulant pas nous hasarder à comparer la Tunisie à la puissance émergente turque, forte d'un marché de 75 millions de consommateurs et d'une industrie fleurissante, nous nous contenterons d'une comparaison entre les politiques en vigueur destinées à soutenir l'export dans les deux pays. A la lumière de ces données et en dépit du discours officiel, il parait clair que la Tunisie souffre d'absence totale d'une dynamique d'exportation. Ce, en dépit du lancement du troisième projet de développement des exportations (TASDIR+), entrepris par les autorités tunisiennes avec l'appui de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD). Une véritable volonté politique n'existe pas. Cette volonté pourrait se traduire au niveau de la diplomatie, du transport et du secteur bancaire pour faire en sorte que le taux de couverture avec la Turquie évolue. Alors que le déficit de la balance commerciale pour le volume d'échanges avec la Turquie évolue d'année en année pour atteindre en 2016, 1500 MD.
En l'absence d'études économiques complètes, il est difficile d'apprécier l'efficacité économique des incitations fiscales à l'exportation mises en œuvre ces dernières années par les autorités sous l'impulsion du ministère du Commerce et de l'Industrie. Ce manque d'informations ne permet pas, en effet, de mesurer l'impact réel de ces avantages fiscaux. L'efficacité économique des incitations fiscales à l'exportation est donc limitée. Considérée comme un facteur parmi d'autres, elle ne peut être le socle sur lequel repose le secteur de l'export à l'échelle d'un pays. En effet, à côté des différentes exonérations, figurent la prise en charge par l'Etat, la viabilité des infrastructures, les contributions patronales au régime légal de sécurité sociale ou encore la cession des terrains servant à l'implantation des entreprises à un prix symbolique. La décision d'investir dépendra donc également des incitations financières. L'expérience asiatique a, par ailleurs, montré que les industries manufacturières mobiles, destinées à l'exportation, hoisissent leurs implantations en fonction des incitations fiscales.
Le modus adopté par la Turquie pour « booster » son export, est pour le moins efficace, si bien, qu'une large gamme de produits réussit aujourd'hui à pénétrer les marchés européen et asiatique en profondeur. Des produits considérés comme très concurrentiels compte tenu des facteurs prix et qualité. Le premier ministre turc Erdogan agit aujourd'hui en véritable VRP en adoptant une stratégie commerciale agressive, qui consiste à faire appel à une armée de compétences de la diaspora installée à l'étranger. En les dotant d'immenses prérogatives d'action et de moyens financiers importants, il s'assure la conquête silencieuse de larges territoires. Une stratégie gagnante, également adoptée par le Roi du Maroc dans sa conquête de l'Afrique. Habituées aux circuits balisés et imposés par une certaine proximité géographique avec l'Europe, les autorités tunisiennes ne parviendront certainement pas à ajuster cette défaillance visible dans la balance commerciale sans de profondes réformes en matière d'organisation, de suivi et d'efficience des commissions mixte et de la négociation.
Cette situation, devenue insoutenable avec le temps, fait aujourd'hui polémique. Sur les plateaux télé on parle désormais « d'invasions » ! Le gouvernement réagit. Ce mardi 28 février 2017, Fayçal Hafiane, conseiller auprès du chef du gouvernement est donc intervenu dans La Matinale de Nessma TV, présentée par Sofiene Ben Hamida, pour dire que les autorités s'apprêtent à lancer une campagne pour pousser le citoyen à consommer tunisien. Si le Cepex a dernièrement rénové son portail Internet, on ne peut en dire autant du site du ministère des Affaires étrangères qui devrait normalement et logiquement, travailler dans le but de valoriser l'image de marque du pays. Zied Laâdhari, actuel ministre du Commerce et de l'Industrie, est certainement la première personne apte à trouver une solution à l'hémorragie en cours. Dans les années 2000, face aux forts flux de produits chinois sur les marchés européens, les autorités ont dû adopter une taxe de 25% sur ces produits. Une mesure protectionniste qui a fait peur à l'époque.