Le bras de fer qui oppose depuis des mois le ministre de l'Education nationale Néji Jalloul au syndicat de l'enseignement secondaire présidé par Lassâad Yaacoubi s'est soldé, sans grande surprise, par le limogeage du ministre de l'Education. Le 30 avril 2017, un dimanche veille d'un 1er mai fête du travail, nous apprenions que le chef du gouvernement a finalement tranché sur la question. Deux ministres ont été « remerciés », Néji Jalloul mais aussi la ministre des Finances, Lamia Zribi. La nouvelle a été annoncée à la fin du JT de 20h, aucun communiqué officiel n'a été publié jusqu'à aujourd'hui. Si personne n'a été surpris par la décision de Youssef Chahed, sur laquelle bien des rumeurs avaient déjà circulé, les réactions ont vite fait d'inonder la toile. Réactions qui ont surtout concerné le limogeage du ministre de l'Education dont le « combat » avec les syndicats a revêtu la portée symbolique d'une guerre de pouvoir entre le gouvernement et l'UGTT. Le constat que le chef du gouvernement, Youssef Chahed, a fini par plier devant une centrale syndicale de plus en plus puissante, a été partagé par de nombreux observateurs. La « victoire » des syndicats a suscité une vague d'indignation sur les réseaux sociaux, prévoyant un retour aux pratiques douteuses, aux longs congés maladie non justifiés et payés par l'Etat, aux salles de cours de rattrapage improvisées dans les garages des enseignants et à « l'islamisation » de l'éducation. Des critiques sur le timing de ces décisions et la manière avec laquelle les ministres ont été limogés ont également été partagées en masse.
L'un des premiers à réagir a été l'ancien ministre de la Santé Said Aïdi, « première victime » d'un bras de fer qui l'a également opposé aux syndicats et qui a fini par lui couter son poste. Said Aïdi, qui a choisi de faire dans la subtilité, n'a pas attaqué ou critiqué de front la décision de Youssef Chahed. Il n'a fait que pointer du doigt le fait qu'il ne reste qu'un mois avant le lancement des examens nationaux et que le ministère de l'Education « le plus important du pays, est désormais sous tutelle ». « Nous souffrons du fléau de l'inégalité de l'éducation qui ronge l'école tunisienne depuis au moins deux décennies. Résultat de cela, des jeunes vacillants qui peuvent être dupés… » a estimé l'ancien ministre, faisant référence au danger de l'endoctrinement qui guette les jeunes tunisiens sans repères solides.
Si certains ont vivement critiqué la décision « inopportune » du chef du gouvernement, d'autres, en revanche, s'en sont réjouis. Bien évidemment le secrétaire général de l'Enseignement secondaire, Lassâad Yaâcoubi a été le premier à pousser un ouf de soulagement. Il a affirmé dans des déclarations aux médias que le limogeage du ministre de l'Education est « un pas positif » de la part de la présidence du gouvernement. « La décision de limogeage de Néji Jalloul a été prise à la suite d'un accord conclu entre la présidence du gouvernement et la direction de la centrale syndicale », a-t-il souligné lors d'une déclaration rapportée le 1er mai par Mosaïque Fm.
Un accord que la centrale syndicale, tout comme la présidence du gouvernement, n'ont cessé de démentir depuis des semaines et que les membres du gouvernement continuent à nier obstinément. Le ministre du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale, Fadhel Adelkefi, fraichement chargé du portefeuille des Finances par intérim a affirmé que Youssef Chahed est dans son bon droit et qu'il est le seul capable d'évaluer le travail de ses ministres et donc d'ajuster en conséquence son équipe, tout en refusant d'utiliser les termes de «marché passé entre le chef du gouvernement et l'UGTT». Le ministre a indiqué que Néji Jalloul est un ami et qu'il avait pris plusieurs décisions courageuses, mais que ce dernier a admis, lui-même, qu'il est dans une situation de blocage et qu'il est fatigué de cette situation.
Des propos qui ont été confirmés par une source gouvernementale qui a affirmé que les raisons qui ont poussé Youssef Chahed à prendre cette décision sont relatives au comportement de Néji Jalloul, au fait « qu'il ait mené individuellement son combat contre les syndicats sans prendre en compte son appartenance au gouvernement duquel il s'est désolidarisé » et qu'il a affirmé lui-même se trouver devant des difficultés qu'il ne peut plus gérer. Une accusation que le ministre limogé avait démenti, soulignant que ce qui a été interprété comme un manque de solidarité avec l'équipe gouvernementale est simplement du au fait qu'il était occupé, comme tous ses collègues, à éteindre le feu dans son ministère. La même source affirme que le chef du gouvernement n'a pas proposé à Néji Jalloul le portefeuille de la Culture mais celui de ministre conseiller auprès de la présidence du gouvernement. « Néji Jalloul n'a pas refusé ce poste, il a dit qu'il allait y réfléchir avant de s'empresser, violant son droit de réserve, d'aller parler aux médias du contenu de son entretien avec le chef du gouvernent », a-t-elle affirmé.
Si aucune réaction n'a encore été publiée par la présidence du gouvernement, Nidaa Tounes, parti de Néji Jalloul, a réaffirmé son soutien à l'ancien ministre. Dans une publication sur sa page Facebook, le dirigeant du parti Hafedh Caïd Essebsi a soutenu Néji Jalloul. Il a fait remarquer que son parti perd un nouveau portefeuille dans le gouvernement ce qui le rend parmi les partis les moins représentés par rapport à son poids parlementaire et politique. Hafedh Caïd Essebsi a soutenu le ministre limogé pour ses deux années passées au gouvernement insistant sur le fait que sa place reste intacte au sein de Nidaa. Une position qu'il a rendue publique quelques heures après que le porte-parole du parti, Borhen Bsaïes, ait également pointé du doigt le poids désormais léger de Nidaa au sein du gouvernement alors que c'est ce parti qui a gagné les dernières élections.
Le limogeage de Néji Jalloul, et à moindre échelle celui de Lamia Zribi, a divisé l'opinion publique. Nombreux sont ceux qui ont crié au scandale pointant la défaite de tout un gouvernement. D'autres ont crié victoire et d'autres encore ont estimé que le ministre, bien qu'il ait fait ce qu'il pouvait, ne porte pas un programme de réforme défendable et devait être remercié. Un point a toutefois rassemblé tout ce beau monde : le timing. Tous ceux qui ne sont pas aveuglés par la haine qu'ils portent à l'ancien ministre se posent la même question : pourquoi limoger deux ministres un dimanche soir, pire encore à la veille de la fête du travail ? Question à laquelle les plus sournois répondent que ce sont les délais fixés par un marché conclu entre la présidence du gouvernement et l'UGTT qui venaient à expiration. Une hypothèse qui ne semble pas être si farfelue, surtout que la centrale syndicale continue à y faire référence…