Par une brève, communiquée à l'oreillette du présentateur du JT de 20h du dimanche 30 avril, l'annonce a été faite : Lamia Zirbi, ministre des Finances et Néji Jalloul, ministre de l'Education ont été virés. Certains trouvent que c'est une jolie manière de punir des ministres au rendement incertains et que cela rendrait son prestige à l'Etat. D'autres, plus pragmatiques, critiquent ces limogeages et y décèlent du populisme, dans un premier temps, et une manœuvre pour faire plaisir à l'UGTT et pour calmer le milieu des affaires.
Le syndicat de l'enseignement et derrière lui, l'UGTT, ont fini par avoir la tête de Néji Jalloul, ministre de l'Education nationale. En conflit ouvert depuis des mois, le syndicat l'a emporté haut la main en faisant virer son ennemi. Par la même occasion, ce sera le premier grand fait d'armes à mettre à l'actif du secrétaire général de l'UGTT, Noureddine Taboubi.
A la veille de la fête du travail, journée incontournable de la centrale syndicale, Youssef Chahed offre à l'UGTT la plus demandée des têtes de son gouvernement. Certes, le rendement de Néji Jalloul au ministère de l'Education est discutable, mais son limogeage ne semble pas lié à ses capacités ou à sa qualité en tant que ministre. En effet, Néji Jalloul a déclaré que Youssef Chahed lui a proposé deux autres portefeuilles ministériels qu'il a refusés. Il aurait également qualifié cette décision de « faute politique grave ». Par conséquent, le limogeage de Néji Jalloul semble être motivé par une volonté de calmer les choses avec l'UGTT. Par contre, le timing peut être considéré comme une humiliation pour l'ex-ministre. A un mois du début des examens nationaux et à la veille de la fête du travail, le timing du limogeage porte, en soi, des messages politiques. C'est Slim Khalbous, ministre de l'Enseignement supérieur, qui a été chargé d'assurer l'intérim à la tête du bourbier qu'est le ministère de Bab Bnet, en plus du fait que M. Khalbous est loin de chômer.
Quel que soit le nom du successeur de Néji Jalloul, il faut avouer qu'il s'agit d'une victoire éclatante de Lassâad Yaâcoubi qui avait juré de faire virer le ministre. C'est même devenu une revendication et un ultimatum a été formulé au gouvernement par l'UGTT. Youssef Chahed a fini par plier et il a sacrifié son ministre. Voulant se positionner en arbitre du conflit entre Néji Jalloul et l'UGTT, Youssef Chahed a fait s'envenimer la situation. Mais comme disait Nicolas Machiavel : « Le parti de la neutralité qu'embrassent le plus souvent les princes irrésolus, qu'effraient les dangers présents, le plus souvent aussi les conduit à leur ruine ».
Il y a également eu le limogeage tout aussi « indélicat » de la ministre des Finances, Lamia Zribi. Certes, l'intéressée n'est pas totalement innocente dans cette décision, particulièrement suite à ces déclarations hasardeuses des derniers jours. Le fait qu'elle évoque le glissement du dinar face à l'euro a engendré un mouvement de panique sur le marché qui a fait plonger la monnaie nationale. Toutefois, il serait de mauvaise foi de lui faire porter l'entière responsabilité de la situation du dinar, surtout si l'on sait que c'est l'apanage exclusif de la Banque Centrale de Tunisie. D'un autre côté, est-il judicieux de virer la ministre alors que la situation du dinar s'est stabilisée et surtout, suite à des négociations difficiles avec le FMI ? Outre la compétence de la ministre, quel message ce limogeage envoie-t-il aux partenaires de la Tunisie en cette période de disette ? Certes, elle sera remplacée haut la main par un ministre à la compétence avérée et qui est rompu aux négociations avec les organismes internationaux, en la personne de Fadhel Abdelkefi. Toutefois, le bouleversement qu'elle a engendré, volontairement ou involontairement, n'a pas plu au milieu tunisien des affaires, et elle a fini par le payer.
Maintenant, plusieurs questions se posent pour la suite des évènements. L'on est en droit de se demander si Youssef Chahed a déjà prévu les noms des remplaçants des ministres limogés ou pas encore. Si tel est le cas, conservera-t-il les fragiles équilibres politiques de son gouvernement, sachant que Néji Jalloul est l'un des principaux ministres de Nidaa Tounes ? Par ailleurs, comment va se passer l'examen du passage à l'ARP pour Youssef Chahed et ses nouveaux ministres, si tant est qu'il les nomme rapidement. En tout état de cause, ce sera le deuxième remaniement au sein du gouvernement Chahed en 8 mois d'exercice.
Ce remaniement opéré par Youssef Chahed se veut le résultat d'une évaluation qui aurait montré la défaillance des deux ministres. Comme le chef du gouvernement l'avait expliqué pendant son interview il y a deux semaines. Toutefois, ce n'est pas une version crédible pour au moins deux raisons. La première est que Youssef Chahed a proposé d'autres portefeuilles à Néji Jalloul, ce qui montre que sa compétence n'est pas en doute. La deuxième raison est que si la compétence était réellement prise en considération, plusieurs autres ministères seraient concernés par d'éventuels remaniements, autrement plus urgents…