Chacun connait le calvaire que subit aujourd'hui l'administration tunisienne, et avec elle les caisses de l'Etat, à cause des recrutements en masse effectués en faveur des bénéficiaires de l'amnistie de 2011. « Vous avez été lésés ? Vos droits ont été injustement bafoués ? L'administration publique rétablira tout ça. Prenez un ticket et attendez votre tour, vous allez recevoir un poste stable, avec primes et avantages et ce pour le restant de votre vie. Si vous avez de la chance, vous serez même indemnisés pour les mois voire années précédents votre recrutement ». Un discours que pourrait très bien tenir l'administration tunisienne après l'amnistie de 2011 et les recrutements en masse dans la fonction publique. Entre 2011 et 2012, sous Mohamed Ghannouchi et Moncef Marzouki, les lois relatives à l'amnistie générale et au recrutement dans la fonction publique ont facilité l'accès à des postes au sein de l'administration et à un recrutement sans concours en faveur des amnistiés de 2011. Près de 88.000 agents du public et 85.000 cadres ont été recrutés entre 2011 et 2012 (chiffres INS). Recrutements « de dédommagement », recrutements « partisans » ou recrutements « cadeaux », au diable les qualifications et la formation de ces nouvelles recrues, l'essentiel est qu'elles soient indemnisées. Au diable aussi les réelles tâches qu'elles auront à effectuer au sein de la fonction publique. Triste scénario. Mais loin d'être isolé.
Aujourd'hui, on réclame la même chose. Les manifestants d'El Kamour tiennent un sit-in incessant afin d'obtenir des recrutements en masse. Un accord serait sur le point d'être trouvé. Ainsi on promet à ces sit-inneurs 3.500 recrutements dans les sociétés pétrolières, environnementales et de jardinage de la région et une dotation de 50 millions de dinars par an pour un fonds d'investissement. Principaux critères de sélection : les bénéficiaires doivent être originaires de la ville de Tataouine. Un autre accord vient d'être conclu aujourd'hui entre le gouvernement et les manifestants de Kébili. Encore des recrutements à la clé, dans des établissements publics.
Au diable le long terme ! Si on asphyxie l'administration tunisienne et les entreprises avec des recrues pas forcément qualifiées et encore moins indispensables à leur fonctionnement, qu'en adviendra-t-il dans quelques années ? Dilapider l'argent de l'Etat et du contribuable pour continuer à payer des salaires pour des gens qui ne sont pas tous qualifiés pour la tâche qu'ils effectuent. Des gens qui n'auront peut-être pas forcément de véritables tâches à effectuer. On parle encore de lutte contre la corruption, mais on tombe pieds joints dans le piège des emplois fictifs. On parle aussi de moderniser l'administration publique, déjà défaillante, et de l'informatiser mais on continue à recruter des agents alors que le rendement et la qualité de service qu'ils rendent à leurs concitoyens sont plus que discutables.
Le gouvernement, trop pressé d'en finir avec les tensions qui règnent depuis plusieurs mois, ne pense pas forcément « long terme ». Il pense plus « image chez l'opinion publique » et « calmants » à des maux qui ne tarderont pas à rapidement refaire surface. Répondre forcément par l'affirmative à une grande partie des revendications des protestataires ne donnerait-il pas de l'élan à d'autres qui en formuleront encore de nouvelles ? Ces régions sont marginalisées, les populations sont paupérisées, appauvries et n'ont pas toujours un moyen « formel » de subsistance. Leur sit-in est compréhensible ? Ceci est un fait. Mais est-ce aussi compréhensible de les recruter uniquement dans le but de les faire taire ? De ne pas trouver de véritables solutions à leurs problèmes et de précipiter, avec ces solutions de rafistolage, la chute d'une économie qui n'est déjà pas de toute première fraîcheur ?