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Le terrorisme frappe à nouveau
Publié dans Business News le 25 - 06 - 2018

Alors que nous sommes absorbés par la coupe du monde de football, la chaleur estivale, l'augmentation des prix et les tiraillements politiques quant à un remaniement ministériel ou gouvernemental, la menace terroriste vient de frapper à nouveau la Tunisie : un berger est décédé des suites de ses blessures et 7 valeureux soldats ont été grièvement blessés.
A l'échelle planétaire et en Tunisie, nul n'est à l'abri de la menace terroriste appelée à perdurer. L'interconnexion entre terrorisme et crime organisé mène à une hybridation croissante des menaces difficilement surmontable par une approche purement sécuritaire. Elle se doit d'être proactive et globale valorisant la résilience de la société tunisienne. Certes, l'Etat Islamique avec la reprise de Mossoul puis de Raqqa et l'avancée irrésistible des forces armées syriennes a subi de lourds revers sur le plan territorial mais la matrice idéologique avec ses sponsors étatiques et non étatiques demeure plus que jamais attrayante pour une jeunesse désœuvrée, dénarcicisée (grave blessure narcissique), en perte de repères et sans espoir d'avenirs meilleurs. Le terrorisme djihadiste, tout en subissant des défaites, ne va pas pour autant disparaître. Tel un virus, il mute, se reconfigure, se dissémine et se redéploie progressivement sur de nouveaux théâtres tirant profit de contingences locales propices à son implantation et de l'appui d'acteurs étatiques et non étatiques lui apportant un soutien en tant qu'auxiliaire de vastes manœuvres stratégiques ciblant des puissances rivales. Afghanistan, Asie Centrale, Caucase, « étranger proche russe », périphéries chinoises (Asie du Sud-Est, Myanmar, etc.), Libye et bande sahélo-saharienne sur le flanc sud de la Tunisie et de l'Algérie semblent constituer les foyers de ce redéploiement en cours. Ce dernier bénéficiera de l'appui déterminant d'éléments aguerris et entraînés revenus d'Irak et de Syrie. Des logiques géopolitiques et des rivalités de puissance sont à l'œuvre. Tout en proliférant sur un terreau fertile et différencié selon les théâtres géographiques, le terrorisme n'est souvent que la « surinfection d'une plaie » obéissant à des calculs stratégiques d'acteurs étatiques régionaux et d'envergure internationale et d'acteurs non-étatiques poursuivant des objectifs stratégiques, criminels et mafieux.

Parallèlement, le chômage, la précarité économique, l'absence de perspectives d'avenir, notamment pour de jeunes diplômés, la perte de confiance en l'Etat et en ses institutions, la rupture croissante entre cette jeunesse désœuvrée et des élites économiques et politiques accusées de corruption et de népotisme, l'enracinement de mafias proliférant sur l'économie informelle et les trafics illicites, la multiplication de discours et de lieux de prédication véhiculant une image tronquée de l'islam, loin de notre tradition d'ouverture et de tolérance, dynamique dopée par des acteurs intérieurs et extérieurs et un voisinage stratégique hostile et en profonde reconfiguration, constituent autant d'éléments érigeant la menace terroriste en menace virulente, mutante et durable pour la Tunisie. Combinée à l'enracinement du crime organisé transnational risquant d'opérer progressivement un renversement de souveraineté, cette menace pèse lourdement sur l'économie nationale et son attractivité. Or, sans relance urgente de la machine économique, la transition démocratique est gravement menacée. Avons-nous pleinement pris la mesure des menaces, des risques et des vulnérabilités pesant sur la Tunisie et des profondes dynamiques transformant notre voisinage stratégique et les équilibres mondiaux ? Sommes-nous trop préoccupés par les luttes partisanes et les calculs politiques à court terme nous condamnant à la gestion dans l'urgence sans vision, ni stratégie ? Une analyse fine et rigoureuse des racines intérieures du terrorisme, de ses ressorts locaux et extérieurs, de ses modalités de déploiement et de mutation, de son évolution (cybermenace, cybercriminalité et territoire numérique) est nécessaire, voire vitale. La prévention et l'anticipation sont de rigueur. La culture de l'anticipation doit être érigée en colonne vertébrale des politiques publiques. Cela revient à répondre à une interrogation majeure : quels sont les acteurs intérieurs et extérieurs n'ayant aucun intérêt à ce que la jeune démocratie tunisienne ne trouve son point d'équilibre stratégique ? Quelles sont leurs stratégies et quels sont nos angles de vulnérabilité ? Quels sont les menaces et les risques pesant sur notre sécurité nationale ? Comment sont-ils susceptibles d'évoluer ? Plus que jamais, en période de forte incertitude et de volatilité, les études à caractères stratégique et prospectif s'imposent afin d'éclairer le décideur via des orientations stratégiques et de lever un degré d'incertitude sur des risques et des menaces.

L'ITES a publié en janvier 2017 une étude prospective « La Tunisie en 2025 » fixant le cadre stratégique et détaillant des orientations stratégiques à l'horizon 2025, notamment quant à la défense et à la sécurité nationales. La logique aurait voulu que ce travail fasse l'objet d'une appropriation par le décideur afin de le décliner en Livre Blanc ou en revue stratégique, voire en directive présidentielle de sécurité. L'Institut de Défense Nationale (IDN) a consacré, dans la lignée de ce travail, son rapport annuel pour la promotion 2016-2017 à un Livre Blanc pour la défense et la sécurité tunisiennes. Ces travaux jetant les premières pierres doivent être poursuivis de manière cohérente et rigoureuse afin de déboucher sur un outil doctrinal et opérationnel lui-même décliné en stratégie des moyens, c'est-à-dire en loi de programmation militaire. Tout en saluant ce sursaut qualitatif, nous ne pouvons que déplorer le manque de continuité dans les travaux et la dispersion des efforts et des moyens. Avons-nous une stratégie nationale de prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violent frappant nos jeunes ? Avons-nous une stratégie nationale globale et cohérente pour faire face au retour des tunisian foreign fighters ? Quid d'une stratégie de lutte contre les cybermenaces pouvant cibler nos infrastructures et nœuds critiques ? La revue stratégique française remise au président Macron en octobre 2017 fut réalisée par un comité de 17 personnes en trois mois (consultations inclues). Il y avait urgence ! Nul travail n'est parfait mais il témoignait du souci des autorités françaises de ne pas se laisser dépasser par les événements et de subir en gérant dans l'urgence. En effet, le monde d'aujourd'hui est caractérisé par une nouvelle fluidité bousculant l'ensemble des repères traditionnels. Loin de la fin de l'Histoire prônée par Fukuyama, nous assistons à une accélération de l'histoire. Ce monde en transition est marqué par une instabilité et une imprévisibilité accrues générant des risques de conflits et d'escalade élevés[1]. La mondialisation, de plus en plus contestée, a fait voler en éclat les « amortisseurs de chocs » qui permettaient une certaine régulation du monde. Nous subissons de plein fouet une évolution stratégique majeure : le dérèglement du système international avec l'apparition d'ordres ou de désordres alternatifs. Cette nouvelle réalité d'un monde en transition, d'un monde bousculé, brisé et chaotique, remet en cause nos grilles d'analyse traditionnelles et génère plus d'incertitude et une multiplication-diversification des menaces et des risques. Dans ce « monde rétréci », une secousse, même lointaine, ne peut plus être ignorée par les autorités tunisiennes. Or, la jeune démocratie tunisienne, travaillée par des lignes de fracture intérieures et des forces centrifuges, évolue dans un voisinage stratégique dégradé, déphasé, fragmenté, voire hostile.

Dans ce contexte, une double dynamique représente un risque majeur relativement au processus démocratique tunisien : d'une part, le voisinage maghrébo-sahélien, durablement déstabilisé, projette un large spectre de menaces susceptibles d'amplifier les risques menaçant le processus démocratique. Le chaos libyen à l'Est combiné à une éventuelle déstabilisation de l'Algérie à l'Ouest dans le cadre d'une succession non maîtrisée exposerait la Tunisie à une situation à la libanaise donnant de la résonnance aux lignes de fractures intérieures menaçant la cohésion nationale du pays. D'autre part, l'ancrage en Tunisie de la première société arabe démocratique propulserait le pays au rang d'Etat pivot dans la géopolitique du Maghreb et du monde arabe. L'accession à la communauté des Etats démocratiques lui confèrerait une responsabilité nouvelle tout en l'exposant à des stratégies malveillantes d'acteurs étatiques et non-étatiques hostiles à la réussite de la transition démocratique.
Ces évolutions posent la problématique de la cohérence d'ensemble de notre posture stratégique et de l'adéquation des moyens. Avons-nous défini cette posture stratégique ou aspirons-nous, tel un bateau ivre, à errer au gré des vagues et de courants de plus en plus puissants ? Un diagnostic stratégique exhaustif isolerait ce qui est d'ordre structurel et ce qui est d'ordre conjoncturel ; ce qui relève des permanences et ce qui relève des mutations. Il proposerait une analyse prospective des transformations susceptibles d'affecter le contexte stratégique tunisien à court, à moyen et à long terme.

A ce stade, la géopolitique intérieure tunisienne est bouleversée, mouvante, turbulente et caractérisée par des lignes de failles et de vulnérabilité offrant des angles d'attaque à des acteurs malveillants locaux et extérieurs ne manquant pas de les instrumentaliser. Nous proposons en ce sens la constitution d'une équipe de travail en mesure d'élaborer dans les plus brefs délais un livre blanc ou une revue stratégique de la sécurité intérieure.
Durant les années soixante, Gaston Berger, l'un des fondateurs de la prospective française, soulignait : « plus une voiture roule vite, plus les phares doivent porter loin ». Avons-nous des phares ? Voulons-nous des phares ?
Anticiper, c'est une méthodologie et une compétence qui ne peuvent se résumer à la seule intuition du chef. Si nous pouvons anticiper, nous pouvons agir et agir mieux. Cette capacité à anticiper de futures menaces s'inscrit dans la stratégie et la volonté des autorités publiques de mieux faire face à des situations constituant une menace majeure à la sécurité du pays dans un environnement intérieur et extérieur de plus en plus volatil et instable.
Penser le futur est un exercice intellectuel qui exige impérativement la maîtrise et l'usage de démarches et de méthodes spécifiquement adaptées. Géopolitique, stratégie et prospective sont des sciences de l'action visant à éclairer le décideur et à agir mieux. La complexité croissante des crises et le coût décuplé de leur impact si elles sont subies dictent de mettre l'accent sur la fonction stratégique prévention-anticipation.

La doctrine militaire a pour coutume d'invoquer trois principes fondamentaux : concentration des forces et économie des moyens permettant la liberté d'action. En ce sens, si nous souhaitons assurer la pérennité du processus démocratique tunisien, il nous incombe de valoriser les études stratégiques et prospectives globales, intégrées et combinées favorisant une coordination des politiques publiques. La culture de l'anticipation devra concourir à garantir notre vivre ensemble dans le futur et à amplifier notre marge de manœuvre dans un monde de plus en plus incertain et instable.
Tout processus décisionnel est étroitement lié à une vision ou représentation de l'avenir reposant sur une stratégie, c'est-à-dire schématiquement sur « les fins, les voies et les moyens ». La stratégie est ainsi au cœur du processus décisionnel, lui-même d'essence politique. Il appartient à la classe politique tunisienne d'être à la hauteur de l'enjeu historique et de s'approprier l'approche stratégique, seule garante d'une sortie de crise et du sauvetage de la jeune démocratie tunisienne.
* Géopoliticien et prospectiviste, Directeur de Global Prospect Intelligence


[1] Voir La revue stratégique de défense et de sécurité nationale française rendue publique le 13 octobre 2017 visant à actualiser le Livre Blanc de 2013.


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