C'est une vraie mosaïque qui se dégage des résultats des sondages des élections législatives tunisiennes. Ennahdha, qui se proclame vainqueur des élections, n'obtient que 40 sièges. Quelques heures après l'euphorie (ou le choc cela dépend d'où on se place), la question de la composition du gouvernement commence à pointer son nez, avec le spectre de nouvelles élections qui survole la scène politique. Jamais on n'aura vu un parlement aussi divisé. Si l'Isie confirme les résultats avancés par les instituts de sondage, la scène politique tunisienne devra faire face à une équation insoluble. Si le premier parti de Tunisie, gagnant des élections législatives, ne dispose que de 40 sièges, on voit mal quelles sont les coalitions ou les accords possibles pour former un gouvernement qui obtiendrait 109 voix lors du vote de confiance. La deuxième force de ce futur parlement sera vraisemblablement Qalb Tounes qui tourne autour de 35 sièges. D'après les déclarations des partis Ennahdha et Qalb Tounes, aucune alliance n'est envisageable entre les deux forces, même si cela rappelle les discours d'Ennahdha et de Nidaa Tounes avant les élections de 2014. Mais même si l'on suppose une telle alliance, on n'en sera qu'à 75 députés et l'on reste loin des 109 voulus. Donc, en toute logique, il existe deux options. La première est celle d'une large coalition qui rassemblerait Ennahdha, Attayar, la coalition Al Karama avec en plus des indépendants et éventuellement le mouvement Echaab. Toutefois, même dans cette optique, la coalition reste chancelante et ne pourra, en aucun cas assurer la stabilité du gouvernement qui pourrait en être issus. La deuxième option est celle d'une dissolution de l'assemblée qui sera confronté à l'impossibilité de former un gouvernement. Cette option, même si elle est tout à fait envisageable, plongerait le pays dans une crise politique profonde.
Cette configuration fait que ceux qui tiennent réellement les clés d'un possible gouvernement ne sont pas les deux partis qui ont gagné les élections, Ennahdha et Qalb Tounes. Les partis Tahya Tounes (17 sièges), coalition Al Karama (17 sièges), mouvement Echaab (15 sièges), parti destourien libre (14 sièges) et Attayar (14 sièges) seront incontournables pour former un gouvernement. Rappelons que le parti destourien libre a fait de l'hostilité envers les islamistes est le fonds de commerce qui lui a fait obtenir des voix, il est peu probable qu'il y ait une quelconque alliance. De son côté, Mohamed Abbou, secrétaire général d'Attayar, a d'ores-et-déjà annoncé qu'il se placerait dans l'opposition. Il reste donc Tahya Tounes, la coalition Al Karama et le mouvement Echaab pour tenter de former un gouvernement. Mais même dans cette configuration, et si l'on suppose l'accord des différents partis, nous n'obtiendrons que 89 sièges. Quelle que soit la coalition obtenue, il faudrait l'adhésion d'une partie des indépendants pour obtenir le graal des 109 voix pour former le gouvernement.
Précision importante, ces projections ne prennent pas en considération les sièges gagnés à l'étranger, qui sont au nombre de 18. Toutefois, la répartition de ces 18 sièges ressemblera à celle nationale. Ceci fait que l'équation reste tout aussi difficile à résoudre. Quelle que soit la pirouette qui sera trouvée pour former un gouvernement. Il est inenvisageable de former un gouvernement qui soit stable et qui pourra, par conséquent, entamer les réformes courageuses dont le pays a besoin. Autre point important qui doit être pris en considération, l'inexpérience des nouveaux députés. Selon la composition parlementaire qui se profile à la lumière des résultats des sondages, l'assemblée sera largement renouvelée. Donc, les nouveaux élus, en majorité, n'ont aucune expérience du travail parlementaire et pour certains d'entre eux, aucune expérience politique. Par conséquent, trouver des consensus et des arrangements politiques pour former le prochain gouvernement sera extrêmement difficile.
En attendant, le pays doit composer avec une nouvelle loi de finances 2020 qui n'est pas exemptée de pièges en tous genres. Ceci sans parler des différents défis économiques et sociaux qui attendent la Tunisie. Par ailleurs, les nouveaux élus doivent être conscients qu'ils sont le fruit de la colère populaire envers un système politique qui a échoué. Donc, ils doivent savoir qu'ils sont dans l'obligation morale de satisfaire les revendications qui les ont amenés là où ils sont. Et c'est là, précisément, que le bat va blesser.