Contrairement aux autres chefs de partis représentés au nouveau parlement, Abir Moussi refuse toujours de rencontrer Kaïs Saïed, président élu de la République. Le chef de l'Etat a beau s'être entretenu avec son ancien adversaire à la présidentielle, les chefs de partis qui le soutiennent et d'autres qui l'exècrent, une seule personne n'a pas souhaité répondre présente. Il s'agit de l'indomptable présidente du parti destourien libre, Abir Moussi.
Dans une missive adressée hier à Kaïs Saïed, Abir Moussi explique que l'invitation qu'elle a reçue était prématurée étant donné que le président élu n'a pas encore mis en application les décisions qu'il avait annoncées et consacré les principes qui étaient les siens. Moussi regrette également le fait que le locataire du palais de Carthage n'ait pas encore officiellement annoncé les noms des membres de sa future équipe. Elle exprime, ainsi, la crainte de voir « les Frères musulmans, les intégristes, les incompétents et les anarchistes » nommés au sein de cette équipe. Plus encore, Abir Moussi insiste pour que soient respectés les « fondements d'un Etat indépendant, l'histoire et les symboles du pays avec à leur tête le leader Habib Bourguiba, père de la pensée moderniste centriste et éclairée et émancipateur de la femme tunisienne ». Des symboles qu'elle dit vouloir protéger…comme si elle en avait l'apanage.
Kaïs Saïed est en poste depuis le 23 octobre. Soit très exactement une semaine. Un laps de temps trop court pour juger de ses accomplissements, de son respect des principes auxquels il se dit attaché et pour prouver quoi que ce soit à ses partisans comme à ses détracteurs. Pour l'instant, l'homme reste exagérément prudent et refuse même de dévoiler les noms de ceux qui feront son équipe. Un excès de prudence qui pourrait lui porter préjudice. Alors qu'il reçoit des personnalités nationales et internationales depuis une semaine, Kaïs Saïed refuse toujours de dire qui est qui et continue de bafouer le protocole et les usages sans s'en offusquer outre-mesure. Un chef de cabinet (Abderraouf Betbaieb) qui n'en est pas un, officiellement. Un conseiller diplomatique (Tarak Bettaieb) qui n'en est pas un officiellement non plus et qui est, pour l'instant, l'ambassadeur de Tunisie à Téhéran (Iran). Cherchez l'erreur.
Mais au-delà de l'affront diplomatique à Khemaïes Jhinaoui, ministre des Affaires étrangères, encore en exercice mais récemment zappé du tableau, Abir Moussi préfère extrapoler et faire croire qu'elle est plus royaliste que le roi. Aucun des Mohsen Marzouk, Nabil Karoui, Mohamed Abbou, Selim Azzabi, Ali Hafsi, Yassine Ayari, Seif Eddine Makhlouf, Rached Ghannouchi et les autres n'ont formulé la moindre objection à rencontrer le président élu. Certains d'entre eux sont d'anciens concurrents dans la course à Carthage et tous ont joué le jeu et répondu présents à son invitation en tant que chefs de partis. Seule Abir Moussi se démarque. S'agit-il d'une position de principe extrémiste ou la réaction d'une mauvaise perdante qui refuse de serrer la main à son adversaire d'hier ? Sans doute un peu des deux.
La présidente du parti destourien libre entame cette nouvelle ère politique – appelons là comme ça – en affichant peu de considération aux institutions de l'Etat mais aussi aux règles du jeu démocratique. Ceux qui ont affirmé vouloir se placer du côté de l'opposition, ont de leur côté accepté de faire honneur aux convenances. Pas Abir Moussi. Elle continue, comme elle l'a fait auparavant, à jouer en solo et à refuser de faire preuve de mesure en abordant des comportements tout simplement contreproductifs. Juger Kaïs Saïed une semaine après son investiture et décider de ne pas serrer la main du président de la République élu sous prétexte que les grands principes énoncés lors de son discours du 23 octobre n'ont pas été respectés frise le ridicule. Que cherche à prouver Abir Moussi ? Rien, ne si ce n'est qu'elle n'a elle-même rien à offrir de plus, pour l'instant, que des positions puériles. « Le vrai test pour Kaïs Saïed sera la composition de son nouveau cabinet », a déclaré Abir Moussi. Si Kaïs Saïed n'a visiblement pas eu le temps de faire ses preuves, Abir Moussi, elle, a incontestablement raté sa première…