Nous avons tous voulu banaliser le problème. Quelques interrogations, quelques remarques ou quelques critiques édulcorées, pour passer très vite à autre chose. Pourtant, la réalité nous a explosé en pleine figure en ce 17 décembre à Sidi Bouzid, à l'occasion du discours du président de la République Kaïs Saïed, commémorant le neuvième anniversaire de la révolution. Maintenant, nous avons la preuve : ce président est dangereux pour l'unité nationale, la démocratie et le pays. Sa conseillère de communication, Rachida Ennaifer aurait été mieux inspirée si elle avait déployé ses efforts pour encourager le président à revoir son discours prononcé à Sidi Bouzid dans un sens plus conciliateur, conforme à son statut et à la solennité du moment. Au contraire, elle a préféré essayer de rattraper le coup avec des déclarations panégyriques qui n'ont convaincu personne, sauf ceux qui ont vu leur cas de conscience se muer en cas de béatitude digne des « béni oui-ouistes » de l'ancien régime. Profitant de la commémoration du neuvième anniversaire du déclenchement de la révolution tunisienne, le chef de l'Etat s'est déplacé le 17 décembre dernier à Sidi Bouzid. L'un des moments forts de cette visite a été le discours prononcé par le président de la République, un discours très attendu puisqu'il s'agit de sa première intervention publique depuis son élection le 23 octobre dernier. Mais force est de constater que ce discours a été très en deçà des attentes. La moindre des choses était que ce discours, en rapport avec un événement important, face à un auditoire exigeant, soit écrit et non improvisé. Le chef de l'Etat a préféré s'accouder sur un arabe littéraire et sur une locution théâtrale, ce qui l'a conduit, le contexte aidant, à faire des écarts graves, inacceptables de la part du plus haut dignitaire de l'Etat. Au lieu d'être le président en communion avec son peuple, il a renvoyé une pâle image d'un opposant qui poursuit sa campagne électorale et qui cherche à enflammer les foules pour engranger quelques voix supplémentaires. Le drame c'est qu'il n'en avait pas besoin, puisqu'il est déjà élu, plébiscité même. On s'attendait donc qu'il soit le président de tous les Tunisiens, vers qui ils se tournent en cas de détresse, parce qu'il est celui qui rassemble, unit et rapproche les belligérants. Il s'est révélé à Sidi Bouzid comme un élément de désunion et de clivage. Peu importe si cela était fortuit ou prémédité. Poser la question de l'intentionnalité des actes ou des dires du président étant elle-même incongrue. A titre d'exemple, la décision du président de la République d'annoncer de Sidi Bouzid, que désormais la date officielle retenue pour commémorer la révolution sera le 17 décembre ne clos pas le débat qui dure depuis neuf ans mais crée un nouveau clivage. En effet, le président ne se limite pas de trancher sur une question qui fait débat mais il verse de l'huile sur le feu en annonçant que la date du 17 décembre est celle de la révolution alors que celle du 14 janvier est celle de la contre révolution. Les centaines de milliers de Tunisiens qui se sont cassé la voix en criant « dégage » devant le ministère de l'Intérieur apprécieront. Autre exemple, en avouant l'existence de complots tramés dans des chambres noires, par des parties connues, le président, en prenant à témoin son auditoire à Sidi Bouzid, n'avoue-t-il pas devenir un complice de ces comploteurs, de couvrir leur crime en taisant leurs identités alors qu'elles sont connues, ou appelle-t-il directement à une confrontation contre ces comploteurs ce qui revient à un appel à la guerre civile ? Dans tous les cas, on s'attendait à mieux de la part d'un président, juriste de surcroit.