Toute la scène nationale observe de près les derniers développements du processus de la formation du gouvernement de Habib Jamli. Un gouvernement qui a eu tant de mal à voir le jour et ne cesse de faire couler beaucoup d'encre, non seulement à cause de sa composition, mais aussi quant à ses chances d'obtenir la confiance du parlement. Après beaucoup de tergiversations et une série de concertations interminables, le candidat chargé de la formation du gouvernement par le mouvement Ennahdha, Habib Jamli a fini par désigner un gouvernement de compétences nationales apolitiques. Une décision qu'il a prise à la suite du refus des partis dits « révolutionnaires » d'y participer. C'est dire qu'après six semaines de négociations, les partis Attayar, Echâab et Tahya Tounes ont refusé de faire partie du gouvernement Jamli. Ce dernier a pris donc la décision de former un gouvernement d'indépendants. Une décision qui a fortement déplu à une grande faction du mouvement islamiste. Déjà que la désignation d'un non nahdhaoui à la tête du gouvernement a été mal digérée par certains dirigeants du mouvement, la mise à l'écart du mouvement de l'équipe Jamli a suscité une vive indignation.
D'ailleurs, la réunion du dernier du Conseil de la Choura témoigne des réserves d'Ennahdha à propos de l'équipe gouvernementale. Connu pour sa discipline infaillible, Ennahdha a décidé d'accorder sa confiance au gouvernement, mais non sans conditions. En effet, Habib Jamli est appelé à modifier sa formation et de tenir compte des suggestions du conseil de la Choura. Dans ce contexte, Abdelkarim Harouni avait déclaré, aujourd'hui, qu'Ennahdha a émis des réserves sur la composition de Habib Jamli, soulignant que le mouvement ne lui fera pas de chantage. Toutefois, il se doit de revoir sa copie.
Cette divergence au sein du mouvement islamiste n'est que la partie apparente de l'iceberg, puisque les véritables conflits internes sont bien plus profonds. C'est dire qu'à l'approche du prochain congrès d'Ennahdha, plusieurs calculs sont en train d'être effectués et les différentes factions essayent de se positionner sur l'échiquier, notamment dans les structures internes du parti.
Mais si le gouvernement de Habib Jamli bénéficie du vote du mouvement Ennahdha, les choses ne sont pas aussi évidentes du côté des autres partis. D'ailleurs, le parti de Qalb Tounes maintient une position assez floue. En effet, peu de temps après l'annonce de la composition, le chef du bloc parlementaire du parti Hatem Mliki avait assuré que Qalb Tounes n'avait pas d'objections majeures contre ce gouvernement, mais que la décision finale revient au conseil national. Ce conseil ne s'est pas réuni, finalement, et il a été reporté. Plus tard, c'est le président du parti Nabil Karoui qui accorde une déclaration à sa chaîne affirmant que son parti maintient sa position refusant le gouvernement de Habib Jamli. Nabil Karoui considére qu'après vérification, ce gouvernement dit de compétences n'est en réalité qu'un gouvernement de compétences en majorité nahdhaoui ! M. Karoui a assuré que le gouvernement nécessite obligatoirement des modifications et des révisions, tant au niveau du fond que de la forme, soulignant que si Habib Jamli campe sur sa position, l'orientation générale de Qalb serait de ne pas voter pour le gouvernement le vendredi prochain.
Il va sans dire que les partis Attayar, Echâab, le PDL et Tahya Tounes ne voteront pas non plus pour ce gouvernement. Ces composantes estiment que l'équipe de Jamli n'est pas à la hauteur des défis à relever, outre le fait que ce soit un gouvernement d'alliance dissimulée entre Qalb Tounes et Ennahdha. Cette position est, également, partagée par la coalition Al Karama, qui a affirmé qu'elle n'accordera pas sa confiance au gouvernement. Il est clair que le gouvernement de Habib Jamli ne fait pas l'unanimité tant au niveau de la démarche qui lui a donné naissance qu'au niveau de la composition qui laisse à désirer. Mais finalement plusieurs observateurs s'accordent sur le fait qu'il va passer lors de la plénière de vote de confiance, soulignant que cette équipe sera soutenue par les mêmes députés ayant voté pour Rached Ghannouchi à la tête du parlement.
En tout état de cause, le mouvement Ennahdha, en vainqueur des législatives, a intérêt à faire passer ce gouvernement quitte à envisager un inévitable remaniement ministériel. L'échec de ce gouvernement signifiera la mise en place du gouvernement du président ou encore des élections législatives anticipées. Une option qui reste peu plausible puisque le processus de la formation du gouvernement Saïed fera face à la même conjoncture actuelle.