Une semaine jour pour jour que nous avions dit adieu à Habib Jamli. Un épisode court, mais intense dans ce que l'on appellera le feuilleton gouvernemental. Et quel feuilleton ! Revirement de dernière minute et retournement de veste, alliances de circonstance, coups bas et bras de fer « tractationnels » font et défont l'actualité politique en Tunisie. Exit donc Habib Jamli et redistribution des cartes. Avec son « Kitab » (comprenez correspondance dans le langage ‘Kaïsien') le président de la République donne le ton. Il convie donc les partis –seulement ceux représentés au parlement- à rendre leur copie pour désigner le candidat à la primature au plus tard jeudi. La course est lancée et les listes ont été déposées à la guérite de Carthage avec accusé de réception avant minuit. Aucun contact avec les représentants des partis. Aucune déclaration dans ce sens sauf quelques éclaircissements d'ordre pratique. Genre l'interprétation faite par le chef de l'Etat de l'article 89 faisant que son « Kitab » n'ait été reçu que par 38 parties. Et puis cerise sur le gâteau, le président nous gratifie de tournures savantes sur le sujet et son complément et l'impossibilité d'une interchangeabilité, histoire de détendre l'atmosphère, peut-être.
Drôle de manière de mener les concertations, mais nous ne sommes pas à une drôlerie près. L'épisode épistolaire s'est clos sur un cliffhanger qui entretient le flou quant à la future démarche du chef de l'Etat. De quelle façon seront entreprises les consultations ? A cela, pas de réponse concrète de la présidence de la République. Mènera-t-elle une nouvelle étape de concertations directes avec les partis ou poursuivra-t-elle sur le chemin de l'échange épistolaire ? Le suspens est à son comble. Une ambiguïté entretenue notamment dans son communiqué « explicatif » de ce jeudi lorsque la présidence relève que la constitution n'a pas précisé le process à suivre. Du coup, on nous dit que les consultations peuvent être directes ou écrites, avec une préférence, quand même pour les correspondances à ce niveau. Sauf qu'on nous dit aussi que cette manière de faire aboutirait à des concertations ultérieures. Comprendre que le président compterait intervenir après l'étape de la désignation de la personnalité « jugée la plus apte », c'est-à-dire la formation du gouvernement et le choix des ministres.
D'ici lundi, on devra découvrir le nouveau désigné. Mais entre-temps, et dans cette tendance à brouiller les pistes (sciemment ?), le chef de l'Etat n'a, à aucun moment, explicité les critères qu'il adoptera pour déterminer celui qu'il juge le plus apte. Mystère et boule de gomme… On laisse entendre que Kaïs Saïed arrêterait son choix après l'examen des listes des noms proposés par les partis, mais cela ne nous dit pas s'il s'y conformerait ou pas. Et si l'on se base sur les interprétations préalables, faites par la présidence, du texte de la constitution, il se pourrait qu'il continue sur la même lancée et nous sorte un candidat surprise. Ce qui est sûr à ce stade, c'est que le président de la République est confronté, on va dire, à son premier test. Et ce test est bien ardu. Tenant compte des forts tiraillements et divisions politiques au parlement, il est amené à concilier entre toutes les propositions émises par les acteurs politiques. Et puis, il ne peut ignorer le poids des organisations nationales, à leur tête l'UGTT.
Différents scénarios sont possibles. Kaïs Saïed pourrait arrêter son choix sur la base des personnalités les plus proposées par les partis. Une short list, un petit tri et le tour est joué. Dans ce cas, il se contentera de désigner un candidat autour duquel il y a consensus, indépendamment de ses qualités, de ses appartenances et de ses antécédents. Dans ce cas aussi, cela lui permettra de rejeter toute la responsabilité de ce choix, la définition du programme du gouvernement, l'issue du vote de confiance ou un échec futur, sur les parties concernées. Mais cela lui vaudra sûrement plusieurs déçus dans les rangs de son fan club qui espère un génialissime « gouvernement du président ». Autre scénario, un Kaïs Saïed qui rejette tous les noms, dans sa logique antisystème, anti-partis et tout le toutim. Il proposerait son propre candidat et l'imposerait à tous. Cela lui vaudrait le courroux de la classe politique. Cependant, celle-ci irait-elle jusqu'à risquer une dissolution du parlement et des élections anticipées ? Cela confirmerait également les théories selon lesquelles, le chef de l'Etat envisagerait de tout balayer sur son passage et d'instaurer son nouveau système politique qu'il n'a eu de cesse de défendre en prenant à témoin le bon peuple. Une chose est certaine, c'est que Kaïs Saïed est plus que jamais le maître du jeu.