L'interview accordée par le président de la République Kaïs Saïed, diffusée sur la chaine nationale à l'occasion de ses cent premiers jours de son mandat a été évaluée de manières très différentes selon les positions des uns et des autres. Elle a surtout mis à nu un problème récurent qui touche tous les acteurs de la scène politique et qui se trouve au centre de la crise politique que vit notre pays. Il s'agit de la crise de la légitimité que vivent tous ces acteurs, chacun à sa manière, et du télescopage de ces légitimités, chaque fois qu'ils entrent en contact. Le président de la République puise sa légitimité du suffrage universel qui lui a permis d'être plébiscité avec environ trois quarts des voix des votants. A lui tout seul, le président de la République a récolté presque autant de voix que tous les députés actuels de l'ARP réunis. Seulement, cette légitimité semble être un peu étroite pour Kaïs Saïed et les desseins qu'il porte pour le pays. En effet, la légitimité du président est étroitement liée à sa fonction de président et à ses prérogatives comme définies par la Constitution, ce qui semble être trop peu pour lui, qui voit d'un mauvais œil les partis politiques et qui préconise un nouveau système politique qui reposerait sur le pouvoir local, rendrait anodin le rôle du parlement, mais renforcerait son propre pouvoir, celui du président de la République. Ses propos, lors de son interview, concernant le projet de grand centre médical à Kairouan, et surtout ses allusions concernant le contrôle des finances de ce projet par la présidence de la République, s'il devait voir le jour, dévoile la crise de légitimité que vit le président, plébiscité mais se sentant ligoté. Face à lui, il y a le parti islamiste Ennahdha fort de deux légitimités. La première est la légitimité historique qui dure depuis plus de quarante ans de militantisme contre le pouvoir de Bourguiba, puis celui de Ben Ali. Cette légitimité historique est un paramètre totalement absent chez Kaïs Saïed inconnu au bataillon avant la révolution, sauf pour ses étudiants en droit. La seconde légitimité du parti islamiste est une légitimité qui passe par les urnes puisqu'il a été élu premier parti politique lors des dernières élections législatives. Mais il se trouve que la légitimité du parti islamiste a été fortement érodée par des comportements peu compatibles avec la démocratie, avant et après la révolution, allant de la violence physique aux présomptions d'assassinats politiques. Les signes de cet effritement de la légitimité d'Ennahdha ne trompent pas. Au cours des neuf dernières années, le parti islamiste a perdu environ un million de votants. Son chef, Rached Ghannouchi, élu à la présidence de l'ARP grâce à des manœuvres politiques habiles, se trouve selon les sondages, l'une des personnalités politiques les plus détestées du pays. Jaloux de sa légitimité, même érodée, le parti islamiste se démène pour faire face à la légitimité expansionniste du président. Les réticences affichées par Ennahdha lors des négociations autour du prochain gouvernement cachent mal, d'une manière à peine voilée, le télescopage des légitimités entre le président de la République et le parti islamiste. Sinon, il y a des légitimités éparses qui gravitent autour de ces deux légitimités centrales. Il y a Elyes Fakhfakh, le chef de gouvernement désigné qui, en l'absence de toute légitimité propre, essaie de se faire une légitimité par procuration. Il y a aussi Qalb Tounes qui essaie de faire croire que la légitimité est une affaire arithmétique et que puisqu'il a été élu en seconde position au sein de l'ARP, il lui revient de droit de faire partie de la coalition gouvernementale. De l'autre côté, il y a la légitimité pseudo révolutionnaire, que se partagent des formations comme Attayar, le mouvement Echâab ou encore Karama, qui repose, pour le moment du moins, sur de simples slogans sans plus. Il y a enfin le PDL de Abir Moussi, qui ne peut se prévaloir d'aucune légitimité, après la révolution et pour le moment du moins en attendant la réalisation des prédictions des sondages d'opinion, mais qui s'acharne à en créer une par ses extravagances et ses fantasques.