Kaïs Saïed a été élu en tant qu'indépendant. Il n'appartient à aucun parti politique et se dit attaché à n'en créer aucun. Ceci n'a pas empêché un parti politique de surfer sur le phénomène Saïed en usurpant son slogan et même plusieurs de ses idées. Un fonds de commerce qu'on veut rapporteur… Le candidat anti-système Kaïs Saïed a réalisé un raz-de-marée électoral lors de la présidentielle de 2019 raflant 72% des voix devant Nabil Karoui. L'indépendance de cet électron libre a attiré les électeurs tunisiens en masse. 2,7 millions de personne ont donné leur voix à Kaïs Saïed au second tour d'octobre 2019. De quoi rappeler les scores réalisés autrefois par Zine El Abidine Ben Ali.
Un tel plébiscite ne pouvait rester inexploité. Un nouveau parti politique semble en effet décidé de s'accaparer cette manne d'électeurs. Al Chaâb Yourid [Le peuple veut] est un parti politique créé le 14 janvier 2020. S'il demeure très discret dans les médias et sur la scène politique c'est parce qu'il ne veut pas « faire de l'ombre au processus de constitution du gouvernement d'Elyes Fakhfakh », c'est du moins ce qu'on peut lire dans son manifeste. Le parti emprunte le slogan mais aussi le logo de campagne avec lesquels Kaïs Saïed a candidaté en 2019 et a été élu président de la République. Il rassemble d'ailleurs des membres de la campagne électorale de l'actuel locataire du palais de Carthage.
Pour l'instant, une simple page Facebook créée en février 2020 et comptant quelque 5000 membres et tout autant d'abonnés. Sur cette page, le parti publie son manifeste dans lequel on peut lire que « Al Chaâb Yourid n'a aucun lien avec un autre parti ou mouvement et qu'il fera son annonce et donnera plus de détails sur son programme lors d'un grand événement national ». On apprend aussi que les adhésions seront bientôt ouvertes sur cette même page officielle. Le parti dit par ailleurs qu'il n'est pas concerné par les tiraillements politiques actuels autour de la formation du gouvernement et que son programme s'articule autour de la construction et non de la destitution de gouvernements. Cependant, et dans le cas où le gouvernement d'Elyes Fakhfakh – dit gouvernement du président – venait à échouer dans le test du Parlement [le vote de confiance étant prévu le 26 février], le parti aura une position sur les développements actuels, qu'il exprimera « via les médias publics ».
Toujours à travers son manifeste, le parti dit qu'il n'a pas et n'aura pas de président et qu'il se base sur une vision nouvelle qui rejette toute hégémonie et pensée unique. Par ailleurs, le parti dispose d'une instance constituante dont le rôle est purement organisationnel et ce afin de conduire à élire ses coordinations locales.
Ceci dit, dans sa présentation, le parti affirme qu'il aurait aimé que Kaïs Saïed soit son président mais que « la Constitution ne permet pas au président de tous les Tunisiens d'être à la tête d'un parti politique ». « Il restera cependant le père spirituel de ce projet », peut-on lire également. Ce projet est en effet le même que celui présenté par Saïed lors de sa campagne électorale, entre autres une décentralisation du pouvoir, moins de prérogatives et de privilèges aux élus du peuple ainsi qu'une nouvelle vision des partis politiques qui ne devraient plus exister dans leur forme classique et habituelle.
Le parti a d'ailleurs déjà débuté ses activités. Le 16 février courant, son instance constituante s'est réunie et a publié un communiqué dans lequel elle s'est dite « préoccupée par le blocage constaté dans le processus de formation du gouvernement d'Elyes Fakhfakh faisant porter aux partis politiques membres du Parlement la responsabilité des tiraillements ». L'instance constituante a aussi lancé un appel à Kaïs Saïed, l'exhortant à « assumer ses responsabilités historiques et constitutionnelles afin de faire sortir le pays de la situation de blocage dans laquelle il s'est embourbé ».
A l'heure actuelle, on ignore qui sont les personnes derrière ce projet. Aucun nom n'a été officiellement annoncé. Ce que l'on sait, en revanche, est que le parti utilise tout ce qui a trait à la personnalité, au programme et à « la recette » de Kaïs Saïed. Du slogan, au programme, tout y est. Ainsi, à chacune de ses apparitions ou discours, le chef de l'Etat fera, sans le savoir, la promotion de ce nouveau parti. De son côté, Kaïs Saïed ne s'est pas encore prononcé quant à une éventuelle affiliation à ce parti qui utilise son nom et son image. Pourquoi il le ferait, lui qui s'est toujours présenté comme indépendant rejetant les partis politiques. Mais rien ne dit que Kaïs Saïed, qui est connu pour être un homme imprévisible, y est totalement étranger ou, même si tel est le cas, ne se laissera pas éventuellement tenter. L'avenir nous dira si ce parti est réellement sérieux ou une réelle chimère…