Après dix jours d'attente et de spéculations, le président de la République Kaïs Saïed a fini par donner son verdict. Son choix de Elyes Fakhfakh pour former le prochain gouvernement en a surpris plus d'un. Bien qu'il traîne un passif pas très glorieux après ses années d'exercice passées sous la Troïka, sa nomination par le chef de l'Etat n'a pas été très contestée. Focus sur une personnalité au bilan mitigé promue au plus haut poste de l'Etat. Le lundi 20 janvier 2020 a été une journée très longue pour les observateurs de la scène politique. Tous les regards étaient braqués sur Carthage, essayant de deviner qui sera la personne la mieux qualifiée de former le gouvernement selon le président de la République Kaïs Saïed. Plusieurs noms ont été évoqués, et c'est finalement Elyes Fakhfakh qui fût « l'heureux élu ». Et si le chef de l'Etat avait appelé les partis politiques à proposer des candidats au poste de chef du gouvernement en justifiant leur choix, il n'a pas jugé utile d'expliquer sa décision de désigner Elyes Fakhfakh qui n'a été proposé que par le parti Tahya Tounes, tout ayant l'aval d'Attayar, « qui n'a pas émis d'objection à désignation » sans le proposer clairement. En l'absence d'une justification aussi importante, la question qui se pose est de savoir ce qui ferait de Elyes Fakhfakh la personne la plus apte à diriger le pays dans une situation aussi critique, sur le plan social et économique et dans une conjoncture politique assez complexe.
Sur le plan politique, comme il le reconnaît lui-même, Elyes Fakhfakh n'a jamais été un militant avant la révolution. Ce n'est qu'en 2011, qu'il intègre le parti Ettakatol de Mustapha Ben Jaâfar où il devient un membre très actif. Il n'est pas donc une figure de l'ancien régime, encore moins des forces révolutionnistes plaidant pour l'intégrisme et l'anarchie. Il est considéré plutôt comme étant un social-libéral. Elyes Fakhfakh a déjà connu et expérimenté les rouages de l'Etat. Après son passage aux ministères du Tourisme et des Finances dans les gouvernements Jebali et Laârayedh, il connait déjà le fonctionnement des appareils de l'Etat, des problèmes qui se posent et des difficultés ainsi les défis à relever. Après l'annonce de sa désignation, les observateurs lui ont immédiatement reconnu ses positions favorables aux conclusions du rapport de la Colibe. Candidat à la présidentielle de 2019, Elyes Fakhfakh a rappelé à plusieurs reprises son attachement aux libertés individuelles, aux valeurs de l'égalité, notamment, en ce qui concerne la loi sur l'héritage. Outre son opposition aux lois liberticides et à la peine capitale. Agé de 47 ans, le candidat chargé par Kaïs Saïed pour la formation du gouvernement, est relativement jeune par rapport aux autres compétences citées sur la scène nationale. Il a, également, un parcours académique valable et une expérience professionnelle reconnue à l'échelle nationale et internationale.
Toutefois, Elyes Fakhfakh n'a pas que des avantages à son actif. Des inconvénients et des reproches, il en existe bel et bien et c'est plutôt son passage sous la Troïka qui dérange le plus. C'est dire que les trois années passées au gouvernement n'étaient pas les plus florissantes dans l'Histoire de la Tunisie. Son passage au sein du ministère des Finances n'était pas des plus appréciés non plus. On se rappelle qu'en 2012, le ministre des Finances Houcine Dimassi avait démissionné de ses fonctions à cause du projet de loi, soumis au conseil des ministres, relatif à la réintégration au travail et l'indemnisation des personnes ayant bénéficié de l'amnistie générale et leurs ayants droits. Et c'est Elyes Fakhfakh qui a été désigné pour lui succéder et finir la mission refusée par Houcine Dimassi.
Aujourd'hui, Elyes Fakhfakh n'a pas été proposé par une majorité représentée au Parlement. Il n'a été, nommément, désigné que par Tahya Tounes. Attayar, de son côté, ne l'a pas désigné officiellement mais n'a émis aucune objection contre lui. Tout calcul fait, il ne bénéficie de l'aval que de 36 députés au maximum. Plusieurs autres candidats en revanche, bénéficient d'un soutien bien plus large. Faut-il également rappeler qu'il n'a récolté que 11.532 voix au premier tour de la présidentielle 2019, soit 0,34% ? En effet, contrairement à ses prédécesseurs, Habib Essid et Youssef Chahed qui n'ont participé à aucune élection avant d'être nommés à la Kasbah, Elyes Fakhfakh s'est présenté à la présidentielle mais a échoué. Il a présenté tout un programme lors de la campagne électorale, mais n'a pas réussi à convaincre les Tunisiens. Son parti non plus, puisqu'il a perdu toute crédibilité auprès de l'opinion publique. D'ailleurs, Ettakatol a disparu du paysage parlementaire depuis 2014.
Il est clair que tous les points cités font de Elyes Fakhfakh une personnalité au bilan mitigé. Cependant, il est, tout aussi évident que le pays a besoin d'un gouvernement dans l'état actuel des choses. Les partis politiques ont encaissé le choix de Kaïs Saïed avec beaucoup de sang-froid. Le dilemme étant l'acceptation de Fakhfakh ou la dissolution du Parlement. Et si certains partis ne craignent pas des élections anticipées, d'autres n'ont pas la garantie de préserver leurs strapontins. Il est donc tout à fait possible que le prochain gouvernement puisse voir le jour. Le véritable défi pour Fakhfakh serait de trouver la bonne démarche à adopter afin de pouvoir composer avec le patchwork parlementaire et ne pas tomber dans le piège de la répartition des portefeuilles en se basant sur les quotas partisans. Quant au président de la République, il aura beau se délester de sa responsabilité par rapport au gouvernement en s'appuyant sur la Constitution et dire « qu'il ne s'agit en aucun cas du gouvernement du Président », la réalité restera toute autre, et les Tunisiens se rappelleront toujours que c'est bien lui qui a désigné le chef du gouvernement. Kaïs Saïed n'aura pas de responsabilité légale ou constitutionnelle du prochain gouvernement, mais il devra en assumer la responsabilité morale.