Alors que le pays s'essouffle dans la recherche d'une solution apte à le sortir d'une crise multiforme endémique, des constituants s'aventurent, avec une bonne dose d'espoir d'y réussir, à introduire un projet de loi pour la restauration des « Habous ». Il est actuellement débattu dans les commissions législatives de l'ANC et est défendu avec acharnement par les députés d'Ennahdha. Outre le fait que pour le commun des citoyens, un projet de loi déposé par le parti islamiste recèle invariablement et incontestablement quelques arrière-pensées, perçues comme des desseins inavoués de ce que l'on appelle « islamisation rampante de la société ». Ce projet de loi apparaît comme un coup de grâce porté au projet sociétal initié par Bourguiba aux lendemains de l'indépendance du pays. Par décret daté du 31 mai 1956, le Combattant suprême a, en effet, liquidé la « Jamiaa des Habous » lui supprimant par la même ses attributions de gestion des biens publics en les transférant au domaine de l'Etat. Pour les détracteurs de ce projet de loi, l'intention est bien de vouloir instaurer un Etat religieux. Pour ses initiateurs, il consacre la liberté individuelle. En un mot, au milieu du marasme qui prévaut actuellement, un nouveau débat politique et idéologique pointe son nez. Ce que le peuple tunisien veut éviter de toute évidence. Rappelons pour les jeunes générations (qui ne doivent pas en avoir une idée précise) que les « habous » sont un acte juridique qui consiste en l'immobilisation d'un bien et en l'affectation de ses revenus à des bénéficiaires. Il existe les habous privés dévolus aux descendants généralement de sexe masculin. Comme il existe également des habous mixtes ou publics. « Ces deux derniers ont été abolis par décret daté du 18 juillet 1956, ce qui a permis de libérer un million d'hectares gelés dans une gestion archaïque qui restreignait leur productivité, leur circulation dans les transactions commerciales et, par la suite, leur mise en valeur par investissements des capitaux », relève Zakya Daoud. Le caractère religieux d'un tel projet n'est pas un secret, quand bien même ses défenseurs affirment le principe de la dévolution du habous public à la réalisation d'un intérêt public sans que soit précisément identifiée la nature de cette réalisation. Aux côtés de cet argument, apparaissent d'autres plus spécieux. Cependant que certains islamistes déclarent que cela n'est nullement un projet islamiste mais qu'il est, comme l'affirme le ministre des Affaires religieuses, « un objectif de la révolution » devant permettre la construction de l'Etat : « Les waqfs, précise-t-il, sont autant une action caritative et humaine qu'un projet sociétal, économique et idéologique, et si nous ne le faisons pas ce serait aller à l'encontre des objectifs de la révolution. » Pour nombre de détracteurs, dont Houcine Dimassi se prononçant sur les ondes d'Express FM, la tentative de restaurer les habous est très dangereuse. Il s'agit, a-t-il dit, ni plus ni moins que de l'instauration d'un état religieux dans un état civil. Evoquant pour le journal La Presse les dangers économiques, l'ancien ministre parle d'un énorme gaspillage, d'un véritable gâchis, du fait du gel des biens immobilisés, mis hors circuit économique. Souvent mal gérés parce que n'ayant plus de maître, ils sont mal exploités, souligne M. Dimassi, et c'est d'autant plus grave que ces terres sont agricoles. Pour M. Fadhel Moussa, cela devra mobiliser des moyens financiers et humains énormes ainsi qu'une nouvelle organisation administrative et un nouvel ordre juridique. M. Moussa se pose par ailleurs la question de savoir au nom de quoi ce projet est donné prioritaire, ne voyant dans ce projet d'une part et dans la mission constituante et de la feuille de route d'autre part, aucun lien. Pour beaucoup, cette entreprise a été montée pour l'instauration, d'une manière pernicieuse, d'un Etat religieux, que c'est également une sorte de diversion et de stratégie politique.