Un code relatif au rétablissement et à la gestion d'une institution du waqf, plus couramment appelé les Habous (biens de main morte), est en cours de finalisation, apprenons-nous de source officielle. Un Conseil ministériel s'est tenu lundi dernier, portant sur ce projet de loi, réglementant les dispositions financières et administratives de ce système appelé à renaître de ses cendres, après avoir été supprimé par Bourguiba en 1957. Le père de ce texte de loi n'est autre que le ministère des Affaires religieuses. Une commission composée essentiellement de spécialistes en droit islamique et de théologiens s'est chargée de le concevoir. De nouvelles réunions sont prévues dans les prochains jours, en vue de le finaliser. Cette fois-ci, des experts en finances et des juristes seront impliqués. Si le projet de Code des waqf est adopté par le gouvernement, il sera soumis à l'Assemblée nationale constituante, pour débat et vote. C'est bel et bien le rétablissement du régime aboli en 1957. C'est avec Ahmed Al Hafi, en sa qualité de conservateur de la propriété foncière, établissement qui relève du ministère de Domaines de l'Etat, que nous avons essayé de comprendre les tenants et les aboutissants de ce projet de loi. Des questions sans réponses ! C'est au temps du gouvernement de Hamadi Jebali que la question des Awqaf (dénomination orientale) a été mise à l'agenda politique. Et c'est encore sous ce même gouvernement qu'une commission portant le nom de commission nationale des contrats islamiques, a vu le jour. Celle-ci relève du ministère de la Justice, elle est chargée de développer le programme juridique islamique en Tunisie, nous explique-t-on. S'agit-il d'adapter le droit islamique appliqué (fiqh) au droit tunisien, ou bien à l'inverse, d'adapter la jurisprudence tunisienne à la loi islamique? S'agit-il de mettre en place un système normatif qui prend sa source non pas dans le droit positif, mais dans le droit islamique (la charia)? S'agit-il d'introduire des contrats dits islamiques ou d'islamiser les contrats dits séculiers ? Rien n'est clair. Quoi qu'il en soit, un fonds de Zakat est le pur produit de cette commission dite des contrats islamiques. Selon ce magistrat, spécialisé en droit foncier, l'abolition du régime des Awqaf qui existait en Tunisie était une erreur historique, puisqu'il jouait un rôle déterminant dans la vie de la cité, en direction spécialement des plus démunis. Ce régime qui suppose «une donation faite à perpétuité par un particulier, à l'adresse d'un parent ou d'une personne étrangère, non liée par les liens de sang, ou encore à une œuvre d'utilité publique, d'un établissement pieux ou charitable», était une substantielle source de financement qui avait contribué, rien de moins, selon M. Al Hafi, à construire l'Etat tunisien avant la colonisation. Ce fonds, avance-t-il, a servi à aider les pauvres, à financer la scolarité de leurs enfants et à les soigner. Certaines lectures favorisent, accuse-t-il, que le colonisateur avait sapé ce système pour le voler et payer avec ses fonds une partie de ses dettes. La mauvaise gestion appelait des réformes et non pas sa suppression. Nous sommes le seul pays au monde, a-t-il regretté, à ne pas disposer du régime des Awqaf, puisque tous les pays, la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, et précisément tous les pays musulmans bénéficient des bienfaits de ce système d'entraide sociale. Un waqf modernisé Grande nouveauté de ce régime revu et corrigé, il sera géré directement par l'Etat, sera soumis à l'instar des établissements publics, aux mêmes modalités administratives et financières qui dirigent les départements nationaux, et obéira aux mêmes outils de contrôle de l'Etat. L'administrateur-gestionnaire qui sera nommé à la tête de ce fonds devra répondre à certains critères académiques, à l'instar des hauts commis, et sera soumis aux mêmes lois, mesures et dispositions auxquelles sont astreints les fonctionnaires de l'Etat. Mais encore, le projet de loi n'a aucun lien avec le passé, les biens abolis en 56-57ont bien été liquidés, sur la base des lois en vigueur. Le projet de loi relatif au waqf n'a aucune portée rétroactive. Ce qui veut dire, avons-nous tiré comme conclusion, que les biens de la Zeitouna réclamés par son imam Houcine Laâbidi ne seront pas restitués. Il faut savoir, à cet égard, que cheikh Laâbidi réclame à l'Etat tous les biens de la grande mosquée, avec en sus les dommages et intérêts qui couvrent toute la période de la «spoliation», plus d'un demi-siècle ! Malgré toutes ces garanties censées rassurer et assurer la bonne gestion de ce waqf réformé, des questions persistent: le projet de texte reste silencieux, parce qu'à l'étude, sans doute, sur certains points fondamentaux, comme : à quel type d'établissement sera soumis l'institution du waqf ? Au régime des établissements publics administratifs (EPA), ou au régime des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), ou dans quelle autre catégorie d'établissement doit-il figurer ? Ce projet de texte ne dit pas non plus, si le budget du waqf figurerait dans le budget de l'Etat? S'il obéirait au système connu des recettes et dépenses, aux mêmes contrôles opérés par le pouvoir législatif (ANC ou plus tard parlement) sur les finances publiques? S'il est considéré comme un compte de l'Etat qui doit figurer nécessairement à chaque année financière dans le projet de loi de finances, pour être discuté, contrôlé et autorisé par les élus du peuple, avant le 31 décembre. Les questions de gouvernance ne sont pas simples et on ne peut en aucun cas comparer une telle institution à celles qui existent. Or, si l'on s'en tient au système des waqf, tel que répandu dans les pays musulmans, c'est un ordre autonome, à la gestion opaque, puisque non soumis à la rigueur (supposée) de gestion des comptes de l'Etat. Une sorte de caisse noire dans beaucoup de pays, pour les régimes en place, sur laquelle l'Etat dispose d'un total pouvoir et soustraite de par sa nature, aux contrôles des juridictions administratives et financières (cour des comptes) et des organes politiques (parlement). A ce titre, les risques de détournement de fonds au profit du régime politique sont indéniables. Selon M. Al Hafi, le waqf sera en mesure d'épauler l'Etat, dont les ressources ne suffisent plus à répondre à la demande en matière d'enseignement, de santé... tout en permettant à ceux qui le désirent d'accomplir un devoir religieux, par le don (sadaka jéria). Dans les pays du Golfe, le waqf est très développé, argumente-t-il, à l'instar du waqf koweïtien, doté d'une organisation judicieuse et très puissante. Le fonds investit à Londres et aux Etats-Unis. Nous espérons que ce projet aboutisse, résume-t-il, et indépendamment du pouvoir politique en place, c'est une voie ouverte pour que les gens s'entraident. In fine, pour ne pas écouter ceux qui accusent le parti islamiste au pouvoir de créer pour chaque système civil, son parallèle religieux, et de saper progressivement les fondamentaux de l'Etat tunisien, la question de la gestion du fonds des Awqaf, sera déterminante. L'implication d'auditeurs indépendants, de la Cour des comptes et des instruments de l'Etat sera indispensable, sinon c'est la voie ouverte à toutes les dérives. L'histoire le montre bien.