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Regards croisés sur le «retour du califat»...
Entretien avec Youssef Seddik et Slimane Zeghidour
Publié dans La Presse de Tunisie le 07 - 06 - 2015

L'Institut français de Tunisie a accueilli dans ses nouveaux locaux la première de ses conférences-débats dans le cadre de ses «mardis de l'IFT». L'intellectuel Youssef Seddik, qui anime ces rencontres, recevait Slimane Zeghidour, journaliste et essayiste d'origine algérienne, qui porte un regard politique sur le retour du religieux dans le monde. Titre de la conférence: «Le nouveau califat: le retour du refoulé»... Nous les avons rencontrés tous deux, dans un débat croisé, quelques minutes avant la rencontre prévue...
Pour commencer, je suis étonné par le titre de votre conférence. Il est question de «retour du refoulé»... L'usage est d'invoquer des facteurs économiques et sociaux, des facteurs doctrinaux aussi pour expliquer le phénomène auquel on assiste. Dans quelle mesure cette approche «freudienne» est-elle pertinente ?
SZ - Il n'y a jamais eu de revendication de masse pour un califat, il n'y a pas eu d'aspiration. C'est une idée très moderne. La preuve c'est que, lorsqu'en 1924, Ataturk destitue le calife et le chasse comme un malpropre, il s'enfuit. Après cinq siècles d'existence (en tant que califat ottoman, ndlr), le représentant s'enfuit avec son service à café : c'est tout ce qu'il a tenu à prendre. Il est parti à Nice. Personne n'a manifesté pour qu'il revienne. Et, depuis, personne n'a parlé de califat... D'autre part, il n'y a jamais eu d'obligation canonique — je parle devant un grand spécialiste du Coran — disant que les musulmans ne peuvent être gouvernés que par cette forme de gouvernement. D'ailleurs, c'est quoi un califat ? C'est une fédération ? C'est un empire? C'est un Etat centralisé? C'est un Etat théocratique? Il n'a jamais été thématisé ni conceptualisé... Le calife n'est pas une autorité religieuse en islam. Il ne peut pas faire de fetwas. Dans l'empire ottoman, il y a toujours eu le cheikh el-uléma qui faisait les fetwas : le mufti! Donc, maintenant on parle de califat : ce n'est pas un retour aux sources. C'est une des formes de gouvernement en islam mais elle n'est pas la seule et elle n'est pas majoritaire...
Elle couvre quand même une période assez importante de l'histoire de l'islam...
SZ - Pas dans tout le monde musulman ! D'autre part, il y a l'empire umeyyade, qui s'est divisé en deux, puisque lorsqu'il a été abattu, une partie est allée à Cordoue. Il y avait alors deux califes en même temps : celui de l'empire umeyyade et celui de l'empire abbasside... Puis il y a eu l'empire fatimide...
Mais pourquoi parler de «retour du refoulé» ?
YS - C'est moi qui suis à l'origine du titre et je vais répondre au cours de la conférence.
SZ - Si je devine ce que si Youssef a voulu dire, c'est qu'il s'agit d'une expérience politique qui a été oubliée et qui revient, parce qu'il y a...
YS - Une nostalgie !
SZ - Même pas une nostagie : parce qu'il y a une perte de substance et une désorientation. Les gens sont tellement fascinés par l'Occident qu'ils disent qu'il ne faut pas l'imiter, tout en l'imitant. Or l'idée du califat est une idée occidentale : je m'explique! Il y a un Anglais qui s'appelle Wilfrid Blunt. Il a écrit un livre : (The Future of Islam (1882). Il est le premier théoricien de l'histoire à avoir demandé à ce qu'il y ait un seul Etat musulman... sous le contrôle de l'Angleterre évidemment. Le califat est une idée britannique, parce que la Grande-Bretagne avait 60 % des musulmans du monde sous son autorité : plus que l'empire ottoman. Un califat musulman aurait naturellement été sous contrôle britannique... Ce n'est pas une théorie conspirationiste : c'est de l'histoire des idées !
YS - Et du point de vue de Hizb Ettahrir, le calife, c'est quoi ?
SZ - Comme pour tous les islamistes, il n'y a pas d'idéologie. Il n'y a pas une théorie de l'homme et de l'Etat. Il y a des slogans, un mélange de nostalgie, de sentiment de grandeur perdue et on est dans la pensée magique : ils te disent que si on reconstitue le califat, tout va aller bien. On n'a pas, comme dans le nazisme ou le libéralisme, une théorie générale de l'homme, de la société et de l'économie... Hizb Ettahrir, c'est «Il faut faire un califat» : un califat qui englobe tous les musulmans. Donc il faut reconquérir l'Andalousie, la Sicile... On est au-delà de l'utopie : ce n'est pas de l'idéologie.
Youssef Seddik, on vous a connu ces derniers temps dans le rôle de l'intellectuel engagé, qui prend position sur des questions d'ordre politique. Avec cette nouvelle expérience, vous faites un retour vers le journalisme ?
YS - Le point commun entre Slimane et moi, c'est que j'ai été aussi reporter de guerre dans des pays africains et arabes. Et ça m'a donné une idée plutôt géopolitique des choses... Et ça m'a guéri de toute tentation de faire de la politique. C'est plus utile de dire que le Soudan, c'est ceci, que l'Arabie Saoudite, c'est cela, et de transmettre...
Plus utile que d'être engagé en tant qu'acteur politique ?
YS - Oui... Je crois que c'est un engagement que de transmettre sur cet état des choses... Je trouve que c'est un rôle qui nous manque énormément. Comme disait une de vos consoeurs, nous avons raté un tournant culturel. Dont le siècle des Lumières... Moi je trouve que Diderot et Voltaire étaient beaucoup plus utiles que Robespierre ou Desmoulins. Et c'est pour ça qu'on doit se convaincre — nous tous et pas seulement les intellectuels — de la nécessité de ce rôle. Etre sûr, et que les autres soient sûrs, qu'on ne revendiquera jamais un ministère ni aucune autre position... Il faut que les gens soient convaincus qu'il y a des intellectuels qui feront tout pour ne pas occuper une place dans la politique politicienne. Cela nous manque énormément. Tous nos intellectuels ont occupé des positions : ils ont eu leurs frasques, leurs scandales, leur corruption, alors que ce sont des intellectuels formidables. Ils savent très bien que ce sont de grands écrivains, mais ils sont déchus dès le moment qu'ils ont occupé un ministère et qu'ils l'ont quitté.
Vous voulez dire qu'ils perdent leur crédibilité ?
YS - Ils perdent toute crédibilité. Même les livres qu'ils ont publiés avant, on les relativise, on les rapetisse... On se dit : «Tiens, un tel a été ministre à un tel moment. Donc son livre ne vaut rien !» Les intellectuels qui sont convaincus de leur rôle sont des gens qui savent très bien qu'ils sont beaucoup plus faiseurs d'histoire — de l'Histoire — que ceux qui ont occupé pendant 15 ans ou pendant 23 ans le pouvoir... et qui sont aujourd'hui moins que rien. Il y a des génies, c'est vrai : Jaurès, Gambetta et, pour nous, Bourguiba. Ils ont réuni les deux dimensions... Abdelkrim Khattabi, au Maroc... Mais c'est vraiment un hasard, pour moi. Il y a aussi l'émir Abdelkader, mais lui a fini par être un intellectuel: un mystique et un écrivain. Et, à sa grande chance, lorsqu'il est mort à Damas, ce n'était plus le politique qu'on enterrait...
Est-ce que l'idée d'organiser des conférences dans l'espace de l'Institut français de Tunisie est un projet qui a germé chez vous depuis longtemps ou est-ce qu'il est né suite à une proposition qui vous a été faite?
YS - Il y a une année, lorsque les responsables ont dit qu'ils allaient aménager un espace de débat, quelqu'un m'a dit : «Qu'est-ce que tu penses de cet espace ?» J'ai posé des conditions : que ce ne soit pas uniquement un espace de francophonie mais que ça s'ouvre sur toute la Méditerranée. Par exemple, si l'invité est un Espagnol ou un Egyptien, il y aura une traduction simultanée. Et nous sommes tombés d'accord.
Il reste que le français va avoir quand même une place importante. Quelle est, selon vous, la place de la langue française dans les changements qui ont été induits par la transformation du contexte politique en Tunisie au niveau de la vie intellectuelle et, plus largement, dans le monde arabe ?
YS - ... Dans le monde arabe : je laisserai Slimane répondre à cette question !
SZ - La langue française, pour les vicissitudes de l'histoire, est présente au Maghreb depuis 1881 en Tunisie et depuis 1830, depuis bientôt deux siècles, en Algérie. Cela veut dire que, dans ce pays, il y a sept générations d'Algériens instruits qui sont formés en français : c'est énorme ! La différence entre quelqu'un qui ne lit que l'arabe et un maghrébin francophone, c'est pas une question de supériorité d'une langue par rapport à l'autre, c'est que le francophone a accès à des sources et des documentations dont l'autre n'a pas le millième en arabe. La langue arabe vous introduit sur un marché extrêmement réduit de connaissances, qui sont fragmentées.
YS - En arabe, je ne sais pas où se trouve Homère et où je peux l'acheter...
SZ - Tous les Arabes sont heureux de dire, et répètent souvent, que le premier sociologue de l'histoire c'est Ibn Khaldoun. On est à Tunis : on sort maintenant, vous et moi, et on fait le tour des librairies pour voir si on trouve un exemplaire de l'œuvre de cet auteur... Pas sûr qu'on le trouve !
YS - Sans parler d'Al Farabi et d'Al Kindi...
SZ - Exactement ! Il y a un vrai problème. Par contre, en français, on va trouver la Muqaddima d'Ibn Khaldoun. Donc, que ce soit le français au Maghreb ou l'anglais au Moyen-Orient, c'est une clé obligatoire pour entrer dans la culture universelle.
YS - Slimane vient de donner la raison la plus pratique. Je donnerais une raison qui est onirique ou esthétique. Moi j'ai besoin de connaître Victor Hugo pour apprécier Al Mutanabbi. Comme j'ai besoin de connaître Shakespeare pour apprécier tel ou tel homme de théâtre de chez nous. On ne peut pas dire que l'un est mieux que l'autre sans connaître Victor Hugo ou Shakespeare dans leur langue : comment ils usent des métaphores, des emphases... Comment ils rusent pour toucher le cœur, pour susciter l'émotion. Je suis, comme vous le savez, de la génération où on faisait 8 heures de littérature française et 8 heures de littérature arabe. C'était le régime sadikien, qui a fait les intellectuels de ma génération... Que l'on ne retrouve plus en Tunisie, à part quelques exceptions. Avant, c'était un système !
C'est un profil qui vous paraît important aujourd'hui ?
YS - Tout à fait important ! Il y a une absolue nécessité. Ces histoires d'ancien dominant, ça ne veut rien dire. Slimane a évoqué un cas de force majeure : nous avons pendant plusieurs générations été sous une langue, on ne va pas en changer. Moi je suis contre le fait de changer pour l'anglais, comme on a fait au Liban : c'est une perte de temps. Je pense qu'il faut lutter, avec les anciens francophones, contre l'hégémonie «trading» de l'anglais, que j'apprécie par ailleurs comme langue de littérature...
Vous êtes, Slimane Zeghidour, l'auteur de deux ouvrages sur la Mecque : un lieu d'où tout est parti pour le monde musulman, mais un lieu ambivalent parce qu'il incarne l'élan vers l'universel et, dans le même temps, le besoin d'un retour vers le local, voire le tribal. Est-ce qu'on ne peut pas y voir une clé de lecture de la situation actuelle du monde musulman ?
SZ- D'abord, le voyage à la Mecque n'est pas un pèlerinage de découverte : c'est une obligation canonique. Moi je l'ai fait en tant que journaliste et, avec l'œil du journaliste, on voit le visage de l'islam, de l'Oumma. Pourquoi ? Parce que, depuis 1988, il y a un quota de pèlerins à raison d'un visa pour 1000 habitants dans chaque pays. Tous les pays musulmans du monde entier sont représentés à la Mecque au prorata de leurs populations. Et c'est fabuleux, parce que vous arrivez sur place et vous vous rendez compte que l'islam est une religion asiatique. Le monde arabe est quasi absent... Mais il n'y a aucun brassage, à part dans les moments de communion, très émouvants, comme lors du wouqouf à Arafat : aucun échange. Les pèlerins sont logés en fonction de leur nationalité : les Turcs avec les Turcs, les Iraniens avec les Iraniens... C'est le forum de la Oumma mais il n'y a aucun échange ! Il ne produit rien sur le plan intellectuel. Le lieu pourrait être comme un synode, où les ulémas du monde entier pourraient profiter de ce rendez-vous annuel pour produire des réflexions sur les grands problèmes de l'humanité : la manipulation génétique, la procréation assistée, l'immigration, les droits de l'homme... Il n'y rien de cela !
Mais, au niveau de la symbolique, le fait que ce lieu ait été un centre religieux à l'époque païenne et qu'il le soit resté après la naissance de l'islam ne vous paraît pas signifiant?
SZ - Toutes les religions ont fait ça. Le temple de Jérusalem sur lequel est bâtie la mosquée Al Aqsa est lui-même construit sur un temple cananéen... C'est partout comme ça.


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