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Quand la raison abdique...
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 20 - 12 - 2013


Par Habib CHAGHAL
En 2007, l'ancien président déclarait à un journaliste français qui lui demandait «d'ouvrir» le régime vers plus de libertés politiques et de démocratie arguant de l'existence d'une importante classe moyenne émancipée : «J'ai été trois fois à la Sûreté nationale et, moi, je ne peux pas ouvrir la Tunisie comme ça, les barbus, je les ai vus venir».
La question qu'on est en droit de se poser à l'ancien président est : pourquoi les barbus du mouvement islamiste tunisien étaient-ils si dangereux au point de mettre sous les verrous la majorité d'entre eux et de contraindre ses principaux responsables à l'exil ?
Dans un autre entretien rapporté par Béchir Ben Yahmed, le patron de Jeune Afrique, Ben Ali accusait Ghannouchi et compagnie d'user, constamment et depuis la création de leur mouvement, du double langage qui consiste à rassurer l'Occident sur leur volonté politique de s'insérer dans le processus démocratique en s'engageant pour le respect des libertés et des droits de l'Homme, tout en promettant à leurs militants et sympathisants l'application de leur propre programme — non déclaré — issu du projet de la confrérie créée par le cheikh Hassan Al Banna au début du siècle dernier.
On trouvera toujours une fatwa pour justifier le mensonge inhérent à ce double langage.
Comment peut on comprendre l'hostilité viscérale de Ben Ali envers le Mouvement de la tendance islamique, rebaptisé au début des années 1990 le parti Ennahdha ?
Pour essayer d'expliquer cette hostilité, nous devons rappeler que le monde musulman fut confronté depuis le début du siècle dernier au défi de l'islam politique qui s'est confondu, souvent, avec les mouvements de libération nationale lors de leur création, y compris en Tunisie au travers de la constitution du parti destourien par le cheikh Abdelaziz Thaâlbi, une référence pour Rached Ghannouchi.
Cependant, l'indépendance des pays musulmans fut l'œuvre d'organisations politiques constituées à l'image des partis politiques européens de l'époque allant jusqu'à épouser leurs idéologies en vogue en ces temps de l'après-révolution bolchevique.
L'un des fondateurs de ces mouvements politiques en Egypte, Hassan Al Banna, estimait que le salut de la Oumma (nation) nécessiterait le retour à un Islam orthodoxe et le rétablissement du califat qui avait été abrogé, quelques années plus tôt, par Kamel Attatürk. Il expliquait la dislocation du califat par le comportement hors normes islamiques des califes ottomans, accusés de s'être éloignés de la gouvernance des premiers califes.
Le fondateur de la confrérie des Frères musulmans en conclut qu'il n'y a pas de modèle de gestion des affaires de l'Etat susceptible de relever le défi de la modernité, supposée être à l'origine de la décadence du monde musulman, en dehors du modèle de gouvernance établi du temps des premiers califes.
A priori, cet appel à un retour aux sources ne manque pas d'argumentations car, après tout, les pays du monde occidental, après une longue période de pouvoir centralisé et despotique, n'avaient-ils pas fini par adopter un système politique imaginé par la Grèce antique?
Cette analyse très naïve de l'histoire politique du monde musulman fut et demeure encore attachante pour une bonne partie des population musulmanes et notamment arabes sorties subitement du moyen âge pour être confrontées au choc de la modernité et du progrès scientifique et technologique.
Or non seulement cette lecture de l'histoire du fondateur de la confrérie des Frères musulmans est erronée mais elle dénote, en plus, une méconnaissance flagrante de l'évolution du rôle de l'Etat à travers l'histoire ainsi que la complexité des relations internationales durant les deux derniers siècles; il n'avait même pas pris la peine de s'interroger sur les raisons qui avaient poussé l'un des compagnons du Prophète, Mouaouia Ibn Abi Soufiane, à instaurer un Etat à l'image des empires de l'époque, perse et romain, pour gérer la Oumma qui s'était étendue à cette époque de l'Andalousie à l'Afghanistan.
Il est cependant surprenant que les Arabes qui ont pris connaissance bien avant les Européens de l'histoire et de la philosophie de la Grèce antique ne se soient pas inspirés du modèle de la démocratie athénienne bien avant les pays européens. Ce n'est que depuis quelques dizaines d'années que des intellectuels islamistes, dont Rached Ghannouchi, ont tenté de faire une nouvelle lecture des textes sacrés pour y déceler une concordance avec le modèle démocratique occidental (Cf. R. Ghannouchi : les libertés publiques dans le monde musulman).
Si le monde moderne développé, qui n'appréhende aucune expérience, n'a pas adopté un régime inspiré des premiers califats, c'est parce que l'histoire de l'évolution de l'Etat et des sociétés a rendu ce système obsolète depuis la création de la dynastie omeyyade à Damas par Maouia.
Al Banna semblait ignorer aussi que les conquêtes musulmanes étaient dues essentiellement à la propagation de la parole divine par la multiplication des copies du Coran et des livres du fikh. Le Coran et les sciences religieuses musulmanes constituaient, en effet, et jusqu'au XVe siècle, le plus grand nombre de livres manuscrits que l'humanité ait connus avant l'invention de l'imprimerie.
En somme, les héritiers tunisiens de Hassen Al Banna sont encore convaincus que le monde musulman ne pourra se développer que s'il y a un retour aux normes de la gouvernance des premiers califats, alors que le leader Bourguiba, qui fut un fin connaisseur de l'histoire et surtout celle du monde musulman, ne concevait le progrès de l'islam que comme conséquence du développement du monde musulman (Cf. lettre de Bourguiba à Ben Youssef, 1952).
Cette contradiction entre deux processus, celui du Destour et celui des Frères musulmans, constitue aujourd'hui le vrai conflit qui divise, en profondeur, la classe politique tunisienne même si l'opposition tarde à l'expliciter clairement à la population.
Pourtant, Ghannouchi et ses amis ne semblent pas embarrassés pour le proclamer soit à travers leur charte du MTI toujours en vigueur, soit à travers la loi sur la justice transitionnelle dont l'objectif principal est de condamner le processus de libération nationale et l'édification de l'Etat moderne par le Destour.
En faisant voter cette loi le soir même où le secrétaire général de l'Ugtt, H. Abbassi devait conclure la première phase du Dialogue national, la Troïka exprime un mépris pour les fondateurs de l'organisation syndicale dont la participation à la libération du pays et l'édification de l'Etat tunisien moderne, à travers ses leaders Hached ,Tlili et Achour notamment, fut décisive.
Dans la charte du MTI, il est textuellement mentionné que les islamistes tunisiens répondent à «la nécessité (traduire devoir) divine afin de libérer la Tunisie», considérant ainsi l'indépendance de notre pays comme caduque.
Bourguiba en voyage en Orient, au début des années 50, avait rencontré des cheikhs qui prétendaient être sujets à une inspiration divine. Il les qualifiait d'exaltés dangereux dans une lettre à Ben Youssef et les accusait de vouloir provoquer une fitna au sein de la société musulmane en proposant un repli sur un système qui n'avait survécu au Prophète que quelques dizaines d'années, il y a plus de 14 siècles.
Or la fitna a été partout utilisée dans le monde musulman par les tenants de ce retour aux sources depuis le dernier tiers du siècle dernier, notamment en Afghanistan, en Egypte, en Algérie, au Maroc, en Somalie, au Liban, au Yémen... et en Tunisie.
C'est donc en connaissance de cause que Ben Ali, l'ancien président, se refusait d'ouvrir le système politique qu'il dirigeait. En effet, devant l'ampleur de la diffusion de la pensée des héritiers de Hassan Al Banna et celle du wahhabisme au sein d'une partie de la société tunisienne encore sous-développée, culturellement et économiquement, il semblait être convaincu, comme il l'avait déclaré au journaliste Christian Mallard, que l'ouverture politique devrait immanquablement donner le pouvoir à ceux qui rêvent du sixième califat.
Les événements lui ont donné raison. Aux islamistes aussi, convaincus qu'ils sont que Dieu leur a rendu justice.
Ceux d'entre ces derniers qui ont lu l'œuvre du grand soufi andalou Ibn Arabi doivent se souvenir de cette citation, tirée des «Alfoutouhate al makkia», qui leur rappelle la charte du MTI : «J'en jure par Dieu : je n'ai pas écrit une seule lettre de ce livre autrement que sous l'effet d'une dictée divine...».
La volonté de Dieu s'arrêterait-elle au monde musulman ? L'évolution du monde non musulman échapperait-elle à cette volonté ? La réponse est dans le premier verset du Coran : «Louange à Allah, Dieu de l'Univers»
L'ancien président assume, cependant, une responsabilité vis-à-vis de l'impasse que vit la grande majorité de la société actuelle face à des islamistes convaincus, comme Ibn Arabi, d'être sous l'effet d'insufflations divines.
En effet, en dépit des réalisations en faveur des pratiques religieuses comme la construction de centaines de mosquées, la création d'un ministère des Affaires religieuses, la création d'une université de théologie et l'édition d'une nouvelle copie du Coran, ils n'avait pas compris que le combat contre des exaltés se posait au niveau de la pensée et non pas par la répression.
Quand la raison abdique chez ces exaltés, candidats au suicide ou candidates au djihad «annikah », la répression n'y pourra rien.


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