L'année 2009 avait été consacrée par l'Organisation islamique de la culture et des sciences à la ville de Kairouan comme capitale de la culture islamique. Un honneur qui a valu à la première capitale du Maghreb ralliée à l'empire musulman naissant de dresser l'inventaire de ses richesses culturelles matérielles et immatérielles et de les valoriser à travers un certain nombre d'événements à portée locale, nationale, régionale et internationale qui ont ponctué l'année. Surtout, cette célébration a donné lieu à la parution d'un nombre impressionnant de publications (revues, livres et autres documents audio-visuels) qui, d'un coup, sont venues en flots continus enrichir substantiellement un fonds déjà bien fourni consacré à cette ville. Dans cette superbe moisson qui restera comme le plus bel acquis de la célébration, nous avons choisi de revenir sur un ouvrage paru en fin d'année dernière aux éditions Médiacom, sous le titre de référence, tant il tranche par l'originalité de son approche. Ahmed Hamrouni est un chercheur qui, tout au long de sa carrière, s'est attaché à étoffer la bibliothèque régionale tunisienne particulièrement mal lotie, tant il est vrai que (pour des raisons commerciales ?) seules quelques grandes villes ont retenu l'attention des chercheurs et des éditeurs. Parmi celles-ci, il est vrai, Kairouan n'est pas en reste. Son prestige de première capitale de l'Islam maghrébin et son caractère touristique y sont assurément pour beaucoup. L'originalité de la contribution d'A. Hamrouni est qu'il a soigneusement évité de marcher sur les pas de ses prédécesseurs, auxquels il n'aurait rien ajouté d'inédit. Au lieu de cela, il a choisi de cerner son sujet en le replaçant dans son contexte géographique, historique, culturel, religieux et humain. La ville n'apparaît plus comme surgie de nulle part pour camper définitivement dans la posture de capitale de l'Islam maghrébin. Sans plus tarder, précisons qu'en fait de livre, nous avons affaire ici à un recueil d'articles parus dans diverses publications périodiques : journaux, revues scientifiques et autres. Après en avoir revu, retouché et étoffé le contenu, l'auteur les a agencés de manière à bâtir une approche cohérente qui éclaire d'un jour nouveau le passé et le présent de cette cité. Une démarche provocatrice qui interpelle lecteurs et chercheurs comme pour leur dire, à l'instar du vieil adage arabe, «vous sûtes des choses, mais perdu de vue bien d'autres choses». Dès l'ouverture, il s'interroge sur la véracité de l'origine entièrement arabe de Kairouan. Tout en rappelant la thèse classique de sa création par Okba Ibn Nafiî en 650, il s'interroge sur une préexistence berbère, y compris de son appellation. Kairouan, capitale de l'Islam malékite en Afrique du Nord ? Et si elle fut la portière par laquelle le hanéfisme est entré dans cette contrée dès la deuxième moitié du VIIIe siècle, bien avant les autres rites sunnites ? Et quid de l'ère chiite qui a fait son apparition dans le monde islamique en tant que pouvoir politique et militaire, précisément dans ce bastion de la sunna‑? Des interrogations qui méritent qu'on s'y arrête, tant l'approche classique occulte des moments critiques, non seulement dans l'histoire de la ville, mais aussi de la région et au-delà. Pour le reste, l'ouvrage obéit à une méthodologie que l'auteur a mise au point dans ses ouvrages précédents consacrés à d'autres villes (Testour, Béja, Le Kef), à savoir la présentation de toutes les localités actuelles ou disparues du «district» et qui constituent le background physique, économique et historique du chef lieu et, surtout, une précieuse revue de toutes les figures, passées et présentes du paysage humain kairouanais. Ahmed Hamrouni,Iqlîm Al Kayraouân(Le “district de Kairouan”, en arabe) 230 pages‑- Prix 10‑dinars (Editions Médiacom)