22 femmes fatiguées et en colère. 22 destins qui racontent une tragédie humaine. Des photographies de mères et de femmes confrontées à la disparition de leurs enfants et de leurs maris ont fait l'objet de l'exposition «Les gens de l'autre rive» de Aymen Omrani. Ces photographies ont investi les murs du local de la fondation Rosa Luxemburg à Tunis, du 12 au 17 juin. Organisé par le forum tunisien pour les droits économiques et sociaux et le bureau de l'Afrique du Nord de la fondation, cet événement marque une position pour la liberté de circulation et le droit à la mobilité, et contre le déplacement forcé des personnes. En 2012, «Boats4 people» a vu le jour, sous forme d'une coalition internationale d'organisations européennes et africaines, défendant ces causes et les droits des migrants. Le nom de l'exposition est inspiré d'un poème du grec Dimitri Analis, traduit en arabe par le poète Adonis et chanté par Kamilya Jubran. Ils s'appellent Nabil, Ahmed, Helmi ou Sabri, et ont laissé derrière eux des mères et des femmes livrées à la douleur et abandonnées par les autorités. En rencontrant ces 22 femmes «en colère et fatiguées», Aymen Omrani a dû dépasser la barrière de leurs craintes, appréhension et pudeur, afin qu'il devienne leur partenaire et qu'elles soient ses associées dans cette œuvre, décrit-il. En l'espace de deux semaines, il a découvert leur quotidien fait d'attente, d'incertitude et de douleur, et l'a transmis dans le regard de son objectif. «Je voulais aller au-delà de l'esthétisme et j'ai opté pour un portfolio», nous explique Aymen Omrani, qui présente ici sa première exposition personnelle. «Les gens de l'autre rive», ce sont donc des histoires en photo, où les clichés sont accompagnés par un texte retraçant les destins de Fathia, Salha, Aziza, Mbarka et les autres. Entre une exploration des règles classiques du portrait et une mise en scène dans le réel, le photographe a projeté ce qu'il a perçu dans leur quotidien et qu'il a partagé avec elles. Dans ses œuvres, un jeu de clair-obscur nous renvoie l'atmosphère pesante dans laquelle elles sont cloîtrées. Entourées du béton et du délabrement, elles pleurent sobrement, en silence. Un milieu difficile, éloquent sur ce qui a pu pousser leurs enfants et leurs maris à braver le danger pour un ailleurs incertain, mais sûrement meilleur, parce qu'il n'y aurait pas pire. Des photographies qui, en même temps, pointent du doigt le relâchement des autorités face à cette tragédie. Le non-dit et le suggéré y étant fort présents sur les visages de ces femmes et sur les murs qui les entourent. Après cinq jours au local de la fondation Rosa Luxemburg, leurs portraits vont essayer de trouver leur chemin dans les régions les plus touchées par l'immigration afin de susciter le débat et sensibiliser les preneurs de décision. «Les gens de l'autre rive» portent en tout cas un message fort, qui devrait percuter la surdité ambiante.