Un vieil immeuble des années 60, pas très beau, pas très élégant, dans ce quartier qui arbore de si jolies façades, a tout de même une drôle d'allure : des tags intriguent et interpellent, insolites dans cet environnement classiquement désuet Nous sommes au cœur de la ville européenne, celle des premiers cadastres, dans cet enchevêtrement de rues aux noms de militants de la première heure. Cette partie de la cité devenue inextricable par la grâce du métro, et dans laquelle tout automobiliste sensé hésite à s'engager. Et pourtant, courez-y, à pied, à cheval ou en voiture. Prenez la rue de Turquie, tournez avec la rue Ali Darghouth, coupez la rue Abderrazak Chraïbi, puis la rue Houcine Bouzaiane. Levez la tête à droite. Un vieil immeuble des années 60, pas très beau, pas très élégant, dans ce quartier qui arbore de si jolies façades, a tout de même une drôle d'allure. Sous l'enseigne Phillips, qui connut des jours meilleurs, des tags intriguent et interpellent, insolites dans cet environnement classiquement désuet. C'est là, dans ce lieu décalé, excentré, que Yosr Ben Ammar, qui nous surprendra toujours, et son complice de toutes les belles aventures, Mahdi Ben Cheikh, ont décidé d'ouvrir un espace consacré au street art : le 32bis Un lieu aléatoire, alternatif, qui a pour premier mérite de réinstaller l'art au cœur de la cité, de lui donner ce côté ouvert, grand public, et de le faire sortir de l'atmosphère feutrée et élitiste des grandes galeries de la banlieue nord. Le choix, en fait, n'était pas totalement innocent. Dans ce quartier longtemps boudé se développe, en effet, depuis quelque temps, une culture underground qu'il faut apprendre à suivre. L'Etoile du Nord avait initié le mouvement. El Hamra avait suivi. Le 32bis s'inscrit dans cette mouvance. «Du street art, encore du street art, rien que du street art» annonce Yosr Ben Ammar qui propose quatre expositions dans l'année, fluctuantes car rien n'est plus volatile que les street artistes, toujours sollicités d'un pays à l'autre, et difficiles à saisir entre deux avions. Cette exposition inaugurale, destinée à présenter un tableau exhaustif des différentes tendances de cette forme d'art, est superbe de diversité, de fantaisie, de brio. Ils sont venus de loin ces jeunes talents des rues, avec leur imaginaire, leur background, leurs convictions, leur credo. Et s'il n'y a pas de catalogue, c'est parce que l'industrie du papier détruit les forêts. L'espace se prête bien à la mise en scène des œuvres : un puits de lumière éclaire les trois niveaux du petit immeuble. Des fresques courent sur les murs, cernent les toiles, relient certaines œuvres, en séparent d'autres. Le bureau d'accueil sert lui-même de support à une création. Dans une vitrine, les bombes de peinture. Ambiance...On se dit qu'ils ont bien dû s'amuser nos artistes. Le plus prolifique, Chouf, à qui on avait pu reprocher de se répéter, renouvelle une approche monochrome, et nous montre que l'on peut être ni tout à fait le même ni tout à fait un autre Swoon, l'Américain, construit, ou déconstruit, tout est question de point de vue, un univers fantasmagorique dans lequel on est invinciblement aspiré, aimanté par les superpositions d'espaces architecturaux incohérents. Pantono, le Portugais fait voler ses oiseaux ivres vers des ailleurs pleins de promesses de mouvement éternel. El Seed, la vedette tunisienne du street art, et pourtant le plus modeste, découvre la couleur, offre des harmonies fruitées à ses calligraffitis, et leur donne trois dimensions en une sculpture couleur carambar à la fraise. Inkman fait tourner ses univers, et voit le monde en calligraphie. Son coup de génie est d'avoir donné à la lettre latine l'esthétique de la lettre arabe. Dabro invite ses bédouines tristes au regard immémorial dans cet univers qui ne peut que leur être étranger. Et le décalage entre le sujet et le support crée la faille, celle par laquelle s'infiltrent tous les possibles. David de la Mano, l'Espagnol, fait voguer ses boat people sur des styx inquiétants, vers des avenirs qui ne sont pas meilleurs. Wise, le Kényan, installe sur ces murs les totems et les masques qui racontent les palabres des sages sous les baobabs. Mais ce serait dommage de tout vous dire. Alors, une seule conclusion : courez au 32bis, à pied, à cheval ou en voiture.