Par Azza FILALI Avec l'arrivée du printemps, l'excès de lumière aidant, on assiste à une efflorescence de hijabs multicolores, dans les rues de Tunis. Sur les écrans de cinéma, le dernier film de Nouri Bouzid, centré sur le port du hijab, déroule une intrigue empreinte de pathos, dans laquelle le port du voile est érigé en question de vie ou de mort. Pourtant, force est de constater que l'on assiste à une banalisation du port du hijab, sans doute liée à son foisonnement. En parallèle, ce voile sur la tête revêt des significations plurielles, changeantes d'une femme à l'autre. Comme signe vestimentaire, le hijab revêt la double fonction de «présenter» celle qui le porte, et d'adresser aux autres des messages implicites. Mais, qu'il s'agisse de définition ou de message, il n'y a pas «un» mais «des» voiles. Ainsi, celui de l'adolescente espiègle, qui l'arbore par-dessus jeans et baskets et s'agglutine autour d'un groupe de camarades à l'angle du lycée. Son ton, ses manières, son rire, ne la démarquent en rien des autres. Totalement décalé par rapport à l'allure, ce foulard est un appendice posé sur une tête qui regarde ailleurs. Rien à voir avec l'attitude provocante d'une jeune femme savamment maquillée et dont le voile de couleur (accordé au pantalon ou à la robe ajustée), évoque les odalisques évanescentes qui évoluent sur les chaînes télévisées moyen-orientales. On assiste à une mise en scène, une représentation orchestrée jusqu'au bout des ongles. Sur le hijab, sont juchées d'élégantes lunettes de soleil et la belle laisse dans son sillage des relents de parfum accrocheur. Ici, le voile représente l'ultime arme de séduction, la plus maniable, puisqu'elle a pour elle «Dieu et ses hommes.» A l'opposé, certaines jeunes filles exhibent un museau à l'étroit dans leur foulard tandis que le corps est aboli par un tissu informe ; il ne reste d'elles qu'un visage d'une absolue virginité, comme si la vie passait sur leurs traits sans les concerner. Ces jeunes personnes semblent évoluer dans un univers lisse, infantile, pavé de règles, régi par des rituels immuables, un univers étranger au réel. Il y a aussi le voile résigné qui encadre le visage d'une quadragénaire ; visage sobre et sans fard, tenue à l'avenant. Ce voile-là ne cherche pas à séduire et ne transmet d'autre message qu'une fin de non-recevoir. Visage nu, sévère, foulard de couleur sombre, regard absent, voire plein de méfiance. Ici, le voile ne va pas vers l'autre, mais représente une barrière, la plus anonyme possible, afin d'éviter tout contact. Au voile s'accordent d'amples tissus, ou une tenue attestant de la plus complète indifférence à l'égard de son corps. Le dénuement, la grisaille imposée ne sont pas le fait du voile, ils l'ont précédé ; le foulard n'a fait qu'entériner les rigueurs de la vie. Chez une même femme, les différents «discours du voile» se mêlent, selon des dosages qui diffèrent de l'une à l'autre. Aucune présentation n'est «pure», ni radicale. Cependant, la banalisation du voile a ôté au geste tout son pathos, il s'agit désormais d'un signe vestimentaire courant, en définitive un code social parmi d'autres. La véritable complexité réside dans les raisons qui poussent une femme à se voiler la tête. Les motivations qui poussent une femme à porter le hijab sont plurielles, souvent malaisées à démêler. Outre la dimension religieuse, plusieurs «raisons» peuvent inciter une femme à se couvrir la tête. D'une femme à l'autre, et tout au long de la vie, les raisons invoquées et leur dosage respectif sont très variables. Une raison essentielle consiste dans le mimétisme social, faire comme la voisine, la cousine ou la grande sœur, la démarche confère une identité partagée qui possède un rôle sécurisant indéniable. Mais le voile indique aussi un retour à la tradition selon laquelle la femme est tenue de se couvrir. Du bakhnoug au sefsari, les accoutrements ont varié au fil du temps, le hijab possède la particularité d'être, non seulement, un code social mais un commandement auquel on accorde un crédit divin. Cette ordonnance divine est en partie responsable de l'attitude volontiers hautaine. Une présentation toute prête, nul besoin de chercher une façade, elle est fournie et sanctifieé par-dessus le marché. Que cela soit assumé ou non, conscient ou passé au travers de conseils stéréotypés, il est certain que le port du voile indique un positionnement par rapport au statut de femme : il l'indique de manière formelle, l'enferme dans un rôle de renoncement. De celui-ci on pourrait beaucoup parler, en fait plus que de renoncer à sa beauté capillaire, la femme enfermée par le hijab dans son sexe biologique se voit tenue de renoncer à son statut d'être humain, statut qu'elle possède avant toute différenciation hormonale. Elle est indéfectiblement femme, irrémédiablement sexuée et en porte la «marque» serrée autour du front.