Entre la graine et le lion, son cœur balance. El Seed, la graine en anglais, langue privilégiée de l'art contemporain sous toutes les latitudes, renvoie notre artiste « calligraphiteur » à un ancrage, un désir de transmission, une inscription dans une tradition. El Seed, le lion en arabe, sa langue maternelle et la nôtre, l'inscrit, au contraire, dans une logique de conquête, une revendication de territoire, un appel d'aventure. Entre les deux démarches, la tentation de l'héritage et l'appel du grand large, El Seed inscrit son aventure personnelle dans une dualité qui explique peut-être l'étrange fascination qu'exerce sur le public ce talentueux graffeur. Le Street Art n'est pourtant pas vraiment familier à la culture d'un public d'amateurs d'art tunisiens encore sous l'influence esthétique de la peinture de chevalet, et qui commence doucement à accepter l'idée que l'art puisse quitter les cimaises. El Seed, jeune star montante du Street Art, propulsé par sa participation à la Tour Paris 13, consacré par une grande maison française de maroquinerie de luxe et de prêt-à-porter qui lui a confié une collection de foulards et de bagages (découvert chez nous à Gabès, sur les façades d'une mosquée), consacré à Jerbahood, n'est pas qu'un phénomène de mode. Il va bien au-delà. Et ce n'est pas par hasard si, invité à exposer en Tunisie par Yosr Ben Ammar, et Mahdi Ben Cheikh dont le partenariat nous offre de bien belles rencontres, il refusait les cimaises policées de la galerie Hope, pour s'installer dans ce temple du savoir et de sa transmission qu'est le siège de l'Association des Anciens de Sadiki. S'installer n'est pas un euphémisme, car El Seed a investi ce lieu vénérable avec humilité, certes, mais marquant fortement sa présence. Avant même d'accrocher ses toiles, il a voulu marquer son territoire. Et les vieux murs, bruissant d'histoire, ont accepté sa présence. On a pu le voir dérouler ses calligraphitis, selon le terme qu'il a inventé, tout autour du vieux patio, les faire onduler autour des portes, cerner les fenêtres, et habiter ce lieu en créant une curieuse familiarité, et en respectant une étonnante harmonie. Alors seulement, on l'a vu s'intéresser aux cimaises et présenter ses toiles. De grands formats, tous uniformes, dans lesquels ce graffeur que l'on aurait pu craindre à l'étroit continue de déployer l'ampleur de son geste. La toile a dompté ce côté sauvage et tentaculaire que déchaînent les murs. Et pourtant. L'écriture est mouvement, elle sabre la toile, la cingle, la tranche, se fait tourbillon, déchirure, orage. Elle est violente, iconoclaste, et oublieuse de son passé esthétique savant. C'est une fille des rues, et pour cela elle a la beauté du diable