La publication dans la rubrique « Tribunes » du journal La Presse du vendredi 17 avril 2015 de l'article intitulé « Une décision malheureuse de l'ex-ministre de l'Agriculture », m'amène à apporter une réponse aux questions et critiques de l'auteur de l'article (A.C). Je voudrais dans ce contexte m'élever au-dessus de toute polémique et m'inscrire, dans la présente réponse, dans une démarche positive ouverte sur l'avenir et s‘éloignant des débats passionnels, des appréciations d'intention et du ressassement des erreurs du passé. Je voudrais tout d'abord commencer par rectifier une donnée que l'article a insinuée plusieurs fois, celle de l'absence d'une stratégie de réforme du secteur de la recherche agricole qui, faudrait-il le signaler, ne peut être réussie sans y associer, dans une démarche systémique, globale et cohérente le secteur de l'enseignement supérieur agricole. En effet, cette démarche globale a été initiée avec la constitution de commissions consultatives rassemblant des chercheurs appartenant au système de la Recherche et de l'enseignement supérieur agricole (Resa), qui ont délivré leurs rapports sur les dysfonctionnements et les insuffisances, qui sont reprochés à la configuration et au mode actuel de fonctionnement du système. Un constat global issu de cette approche a été élaboré et diffusé aux institutions et mis en ligne sur le site de l'Iresa en juillet 2014. Les insuffisances du système Resa actuel y sont discutées et analysées, et l'auteur de l'article objet de la présente mise au point y aurait certainement trouvé, en plus des propositions de lignes directrices de solutions présentées dans le constat, une partie des critiques qu'il fait au système Resa et des témoignages qu'il apporte, ayant lui-même été chercheur puis responsable, pendant plusieurs années jusqu'en 2011, d'un grand institut national de recherche agricole. Ceci est notamment vrai en ce qui concerne la question de l'éclatement du système de la recherche agricole, de la coupure entre instituts nationaux et centres régionaux de recherche, de la stratégie de recherche du système et de la valorisation des acquis de la recherche agricole. Ce constat a ensuite servi à élaborer une démarche globale de réforme visant, loin de tout lifting superficiel, à s'attaquer aux causes fondamentales des problèmes actuels, et souvent en fait assez anciens, du système Resa. Cette démarche intègre trois niveaux d'actions : I) q'un niveau structurel et statutaire, incluant entre autres la question stratégique de la révision de la cartographie aussi bien des établissements de recherche que de ceux d'enseignement supérieur agricole, II/ un niveau d'organisation fonctionnelle et opérationnelle en établissant des référentiels d'organisation des processus de travail du système dans une approche développant, d'une part l'autonomie et la redevabilité des établissements et de la structure de tutelle représentée par l'Iresa, tout en renforçant la dimension de management systémique de la recherche et de l'enseignement supérieur agricole, III) un niveau opérationnel par la mise en place des référentiels, des mécanismes et des outils assurant un fonctionnement optimal du système dans un cadre de gouvernance moderne, dont entre autres pour répondre à une des interrogations de l'auteur, un nouveau cadre stratégique et de programmation de la recherche agricole. Ceci étant dit, l'avenir, comme cité dans l'article intitulé « Une décision malheureuse de l'ex-ministre de l'Agriculture », ne peut être bâti que sur une lecture objective du passé et du présent, cette lecture doit passer par une analyse pertinente pour réussir l'exercice de développement prospectif et de projection dans l'avenir, et c'est effectivement à ce niveau que se trouvent les divergences d'opinion, d'appréciation et d'approche entre l'auteur de l'article, d'une part, et le ministère de l'Agriculture et l'Iresa, d'autre part, notamment en ce qui concerne la question du statut des chercheurs agricoles. Historiquement le corps des chercheurs agricoles a pendant longtemps été marginalisé en Tunisie en l'absence d'un statut le valorisant. Plusieurs chercheurs pionniers, que vous citez, et dont j'honore avec respect la mémoire, ont milité sur une longue période pour faire adopter, en août 1987, un statut particulier des chercheurs agricoles. Si ce statut représentait une avancée importante pour l'époque, il faudrait souligner que l'évolution des systèmes de recherche les plus performants à l'échelle mondiale, comme notamment aux USA, montre que la majorité des chercheurs du secteur académique et public sont affiliés aux structures universitaires (environ 80%), le recrutement des chercheurs y est très ouvert, il est régi par des conditions d'accès qui dépendent essentiellement du profil des postes à pourvoir et non de l'appartenance à un statut particulier. La situation est très comparable dans d'autres pays anglo-saxons et notamment la Grande-Bretagne où la fonction de chercheur est très ouverte à la mobilité. Le développement des performances des systèmes de recherche est associé à une tendance mondiale de décloisonnement entre recherche, d'une part, et enseignement et recherche, d'autre part. Les recrutements et promotions sont essentiellement régis par l'adéquation entre les exigences des postes à pourvoir et le profil des candidats. En d'autres termes, la fonction de chercheur est appréciée par le profil des concernés plutôt que par leur statut, c'est le CV qui fait le chercheur et non l'inverse. D'ailleurs en France, pays où existent des statuts différents, le débat sur l'évolution vers un statut unique d'enseignant chercheur est actuellement posé. L'Académie des sciences de France ainsi que le président du Cnrs, un des plus grands organismes de recherche au monde, recommandent une telle évolution. Cette évolution est justifiée stratégiquement, à plusieurs niveaux, d'abord le regroupement des effectifs en une masse critique homogène, compétitive et viable d'enseignants chercheurs, ensuite l'encouragement au décloisonnement des structures ainsi qu'à la conduite de recherches multidisciplinaires et multi-institutionnelles et à la mobilité du personnel, et enfin à l'échange réciproque de visions et concepts qui reste essentiel à une dynamique d'évolution des systèmes de l'enseignement supérieur et de la recherche. En Tunisie, le projet du statut unique d'enseignant chercheur a été élaboré au début de l'année 2012, suite à des revendications syndicales. Ce projet s'inscrit directement dans les orientations stratégiques évoquées plus haut, notamment avec la constitution d'une masse critique de près de 850 enseignants chercheurs agricoles contribuant à un meilleur positionnement du système Resa à l'échelle nationale et régionale, et à une gestion décloisonnée et multidisciplinaire nécessaires pour relever les défis fort complexes du secteur agricole national. D'ailleurs, le Comité national d'évaluation des activités de recherche (Cnear) avait recommandé en 2009 une plus grande ouverture de la recherche agricole au corps des enseignants chercheurs agricoles. L'article « Une décision malheureuse de l'ex-ministre de l'Agriculture » comporte des confusions de concept qui déroute le lecteur non averti, comme notamment celles en rapport avec les questions de statut et de fonction de chercheur, ainsi que de déstructuration et de décloisonnement. En effet, si le statut particulier de chercheur a été effectivement abandonné, la fonction de chercheur est maintenue dans le nouveau statut unique qui a prévu 2 parcours parallèles qui se déroulent dans un établissement soit de recherche, soit d'enseignement supérieur agricole. Le parcours chercheur, qui faudrait-il le rappeler est à plein temps, sera même mieux précisé opérationnellement avec l'évolution des grilles d'évaluation spécifiques aux concours de recrutement et de promotion ouverts dans les établissements de recherche, il en sera de même pour le parcours des établissements d'enseignement supérieur. En effet, les critères d'évaluation spécifiques pour chaque type de parcours vont jouer le rôle de régulateurs objectifs de mobilité entre les établissements de recherche et ceux d'enseignement supérieur agricole. L'article objet de la présente mise au point insinue que le statut unique d'enseignant chercheur signe la fin de la recherche scientifique agricole, je donnerais pour preuve du contraire le cas d'un de nos instituts de recherche agricole qui a été pendant plusieurs années sous la tutelle du ministère de l'enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, et où l'affiliation d'une grande partie des chercheurs au corps des enseignants chercheurs de l'enseignement supérieur agricole et de celui de l'enseignement supérieur n'a eu aucun impact négatif sur les activités de recherche. Vous avez abordé la question des stations de recherche agricole, qui malgré des investissements importants faits dans le passé continue à représenter un problème chronique du système. Il aurait été souhaitable, étant donné votre qualité d'ancien responsable d'un établissement national de recherche agricole, de proposer, au-delà des critiques que vous faites d'une situation que vous avez certainement vécue à ce titre, des ébauches de solutions à la situation actuelle des stations de recherche. En fait, cette situation ancienne, et encore d'actualité, est due à des causes multiples tenant aux moyens financiers, aux ressources humaines et à leur gestion, et en grande partie à des aspects statutaires et organisationnels ayant conduit à un mode de gestion trop centralisé et peu responsabilisant incompatible avec le développement des stations, et ce, en l'absence de procédures d'évaluation des activités des établissements permettant d'identifier rapidement les dysfonctionnements. L'évolution durable des stations ne peut être entrevue que dans le cadre d'une démarche intégrant l'ensemble des problèmes du système, car tout est lié, et c'est effectivement l'objectif de la démarche de réforme globale du système Resa.