Faut-il compter seulement sur le sélectionneur pour réussir une équipe, un projet? La théorie de la construction sportive a-t-elle encore un sens quand les bons techniciens, les vrais, sont devenus une denrée irrémédiablement périssable? Plus que des histoires de résultats ou de matches perdus, le parcours de l'équipe nationale offre d'un étonnant sujet de réflexion sportive. Sélectionneurs, joueurs, responsables, mais aussi public, voilà que ne cesse d'apparaître devant chacun un champ d'action entièrement susceptible de mettre en évidence les besoins, les perspectives, mais également les obligations de la sélection. L'arrivée de Kasperczak serait de nature à changer beaucoup de choses. Des impératifs sur fond de contraintes devraient en effet orienter les prérogatives de l'équipe et agir sur les aptitudes des joueurs. Le souvenir n'est point trompeur. Le passage de certains sélectionneurs a davantage compliqué le parcours de l'équipe. En dépit de certaines bonnes volontés, on sait que derrière autant de défaillances et de manquements, se cachaient de bien terrifiants dangers. Les échecs successifs ne sont pas uniquement la conséquence de la mauvaise gestion technique de l'équipe. Alors que de toutes parts, il aurait fallu être constructif et toujours prêt à réagir. On ne saurait suffisamment l'exprimer, mais la sélection est restée pendant longtemps dans une phase de décomposition. Les différents acteurs et les différentes parties prenantes ont pris l'habitude de se renvoyer l'ascenseur et à fuir ainsi leurs responsabilités. Pire que les solutions de facilité, c'est une stratégie de faiblesse, un aveu d'incompétence. Certains n'ont ni la carrure, ni le charisme pour assumer leurs responsabilités. Il ne sont pas les seuls. Ceux que l'on considérait, à tort ou à raison comme des leaders de l'équipe, ne sont au fait que de pâles joueurs de salon. On peut les désigner un par un, personne n'échappe à la critique. Des joueurs donc ordinaires pour la plupart, mais desservis par un environnement contraignant et des approches descendues du ciel, travaillées à la va-vite, avant de basculer sans cesse dans des considérations chamboulées. C'est dans les coulisses ouvertes à tous les vents autoprotecteurs que cela se passait. Attraction et répulsion Oserons-nous avouer, aujourd'hui, que le démon sportif n'a jamais quitté la sélection ? Notamment par rapport à tout ce qui s'y accomplit, tout ce qui touche de près ou de loin au sélectionneur, aux joueurs, à l'entourage. Kasperczak aurait ainsi besoin de sérénité pour communiquer ses certitudes et non pas d'un refus viscéral qui faisait tout le confort de ceux qui l'avaient précédé. Le changement auquel il aspire ne s'improvise pas. Il se justifie sur le pré et non dans les coulisses. S'il ne dispose pas encore de grands joueurs, il aura encore besoin de ceux qui sont assez grands pour fédérer le groupe, de leaders techniques sur le terrain, pas de leaders tout court. Le sélectionneur ne perd pas son temps. Outre la supervision des matches, il est entré en contact avec les joueurs susceptibles d'être convoqués. Des joueurs locaux, mais aussi ceux qui évoluent à l'étranger. Il semble qu'il ait sa petite idée sur la valeur et les aptitudes des uns et des autres. La preuve: il vient de parler avec le jeune et milieu de terrain Mohamed Methenani qui évolue à Al Jaïech de Qatar. Le but de cet entretien: le convaincre de rejoindre les rangs de la sélection, notamment après les informations qui ont circulé récemment et qui font part de sa décision de choisir la sélection qatarie. Le sélectionneur est convaincu de l'utilité de ce joueur et de l'apport qu'il est censé donner à l'équipe. A vrai dire, ce qui s'est passé ces dernières années en sélection continue à alimenter les débats de façon bien particulière. Le tort du football tunisien réside particulièrement dans l'entourage de la sélection qui n'a pas suffisamment évolué, surtout avec les circonstances et face à l'attachement et au sentiment d'appartenance chez les joueurs. Selon les goûts ou les bords. Le rôle du sélectionneur, et de l'entraîneur de façon générale, serait devenu plus dur non pas à cause du travail, mais plutôt à cause de sa relation avec les joueurs et de la maîtrise du groupe. Comme le coureur de fond, il doit tenir la distance vis-à-vis de beaucoup de dépassements, à la différence du marathonien, personne ne sera en droit de lui tracer la ligne d'arrivée. Le plus important, c'est d'évoluer et progresser avant de penser aux résultats. On ne doit pas oublier que tout ce qu'il est censé accomplir peut être conditionné par les équations de construire ou de détruire, d'encourager ou de décourager, de guérir ou d'ouvrir de profondes blessures. Souvent, très souvent, l'entraîneur perce sous la passion et Kasperczak a beaucoup vu, beaucoup retenu. Il tire ses convictions des références qui ont marqué l'histoire du football, mais aussi de tout qui est de nature à faire progresser la sélection, à lui donner un style, un fond de jeu. En un mot : une personnalité sur le terrain. Il ne se résout pas à agir de la sorte sans se soucier certainement de la nécessité de construire un groupe uni pour une même cause. Un véritable projet. Faut-il compter seulement sur le sélectionneur pour réussir une équipe, un projet? La théorie de la construction sportive a-t-elle encore un sens quand les bons techniciens, les vrais, sont devenus une denrée irrémédiablement périssable?