Nombreux sont ceux qui sont persuadés que les deux principaux partis de la coalition gouvernementale n'arrêtent pas de conclure des transactions aux dépens de l'intérêt suprême de l'Etat. La dernière en date est celle relative à l'octroi de la présidence de la Commission de la femme et de la famille à celle qui est loin de représenter la femme tunisienne, selon ses nombreuses détractrices, les électrices de BCE, à savoir la « citoyenne française », Maherzia Laâbidi, comme elle se plaît elle-même à le répéter et ce dont elle ne cesse de se vanter. Parmi ces sceptiques, il y a l'avocat Imed Ben Halima qui parle de « contrat d'impunité », pour expliquer que le marché passé entre les deux partenaires gouvernementaux consiste à ce que chacun des deux partenaires ferme les yeux sur le passé compromettant de l'autre. Est-ce avec un « contrat » pareil qu'on peut s'attendre à la réussite de la transition démocratique ? Est-il possible d'instaurer l'Etat de droit tant souhaité dans un climat aussi suspect et malsain? Impunité juridique Le conflit entre les forces de l'ordre et les juges prend des proportions toujours plus grandes, bien qu'on essaye, officiellement, d'en minimiser la portée. Le souvenir de la scène spectaculaire, où des policiers ont reconduit au poste des inculpés de terrorisme remis en liberté par le juge d'instruction, est toujours vivace. Plusieurs observateurs refusent de croire la version officielle présentée par le ministère de l'Intérieur qui essayait d'expliquer cette nouvelle arrestation par l'apparition de nouveaux chefs d'inculpation. Elle est intervenue, notamment, après la remise en liberté de l'artisan de l'opération terroriste du Bardo, Mohamed Amine Guebli, dont les aveux ainsi que les preuves tangibles de son implication étaient scientifiquement établies, comme l'a affirmé Issam Dardouri, le président de l'Organisation tunisienne de la sécurité et du citoyen, vendredi dernier sur Al Wataniya 1, dans le cadre de l'émission « Walakom sadid ennadhar » (A vous de voir). Il voit dans sa libération par le juge d'instruction, dont il s'indigne vivement, un désaveu flagrant et cinglant du ministre de l'Intérieur qui a annoncé, dans le cadre d'une conférence de presse largement suivie, que le dénommé Guebli est le premier responsable de l'opération. Comme tout le monde sait, ce n'est pas la première fois que cela se produit, la remise en liberté de terroristes notoires, dont les faits incriminant sont à la fois reconnus et établis, devient monnaie courante. On en cite encore, à titre d'exemple, le terroriste d'Hammamet, Slim Bouhouch, le chef de la brigade Katibet Abou Mariem, qui était, officiellement, présenté aux médias par les agents de l'ordre ayant procédé à son arrestation. Ceux-ci en ont assez d'exposer leur vie au danger et de voir enfin ceux qu'ils ont peiné à appréhender relâchés par les juges d'instruction, sous prétexte d'insuffisance de preuves, alors qu'elles sont en tout point irréfragables, selon eux. Les forces de l'ordre ne sont pas les seules à se plaindre de cette situation, les agents de la douane le sont également. Ils communiquent leurs inquiétudes et leur exacerbation par le biais du président du bureau exécutif de leur syndicat, Mohamed Ghodhbane, qui déplore, sur le plateau de Nessma, le même jour, l'attitude des autorités judiciaires à l'égard de trafiquants notoires arrêtés en flagrant délit, à l'instar des trois hommes d'affaires de Sfax, incriminés dans l'affaire des pétards, des fumigènes et des feux d'artifice, qu'elles ont libérés, alors qu'elles ont incarcéré des douaniers qui ont ainsi servi de boucs émissaires à ces malfaiteurs. En outre, le responsable syndicaliste rappelle que ses collègues de Ras Jedir ayant essayé d'empêcher, au mois de février dernier, plus de cent camions d'entrer de force au terminal frontalier, pour ne pas payer de taxes et pour ne pas être soumis aux fouilles de routine, subissent toujours des menaces de la part des barons de la contrebande de la région sans que les autorités ne bronchent pour les protéger et arrêter ces malandrins. Il souligne que ce qui s'est passé est le résultat du laxisme de l'Etat qui n'a rien fait pour contrer l'influence de ces barons qui ont les mains libres et qui bafouent l'autorité de l'Etat en plein jour et en toute impunité. En fait, ces hors-la-loi sont encouragés non seulement par la nonchalance des autorités, mais aussi par la loi, puisque la contrebande n'est pas légalement incriminée, comme c'est le cas dans les pays de la région, de la Mauritanie jusqu'au Soudan en passant par l'Algérie, le Maroc et l'Egypte, comme l'a précisé le colonel Mokhtar Ben Nasr, président du Centre tunisien pour les études de la sécurité globale, qui était présent sur le même plateau télévisé aux côtés de Mohamed Ghodhbane. Ce vide juridique permet aux contrebandiers de trouver un arrangement avec la douane, en payant juste une amende dont le montant est prélevé sur les bénéfices réalisés illégalement. Les législateurs auraient dû remédier à cette lacune, au moment où ils ont voté la loi antiterroriste et de lutte contre le blanchiment d'argent. C'est le cadre juridique dans lequel l'incrimination de la contrebande devrait être insérée, étant donné qu'elle entretient des liens viscéraux avec le terrorisme. Mais manifestement, c'est la volonté politique qui manque pour qu'une loi incriminant ces pratiques illicites et éminemment préjudiciables à la sécurité et à l'économie nationales soit envisagée. Trop de questions et d'aberrations Ces barons de la contrebande ainsi que les terroristes jouissent d'une protection de la part de certains partis au pouvoir, et c'est pourquoi des juges d'instruction les mettent en liberté et classent leurs dossiers, à chaque fois qu'ils y trouvent la trace de l'un des dirigeants de ces partis, selon les affirmations de l'avocat Imed Ben Halima. Le dernier scandale spectaculaire dans ce chapitre, relatif à la remise en liberté de l'ex-porte-parole de l'organisation terroriste, Ansar Echaria, Seifeddine Raïs, faisant allégeance à Daech publiquement dans une vidéo, vient de toute évidence conforter sa thèse. Le pire reste à venir avec l'éventuel retour des jihadistes tunisiens de Syrie. L'éventualité est potentielle d'autant plus que c'est Ennahdha qui a intercédé en leur faveur auprès de Nida Tounès. Il aurait troqué cela, selon certains, contre l'acceptation du projet de réconciliation économique et financière à propos duquel Samir Dilou vient d'affirmer que son parti va prendre deux semaines pour étudier les articles qui feront l'objet d'amendement et déterminer sa position concernant ces dispositions du projet. Deux semaines ce n'est pas le temps de réflexion nécessaire accordée à Nida Tounès pour approuver et préparer le retour des jihadistes ? C'est ce que pensent plusieurs observateurs. C'est du donnant donnant, la réconciliation avec les hommes d'affaires corrompus contre la réconciliation avec les terroristes qui rappellent sa jeunesse à Ghannouchi. Les uns et les autres seront blancs comme neige grâce à la bienveillance des vieux sages des deux partis qui veillent sur le pays comme des saints et qui réconcilient l'inconciliable pour extirper les racines de la haine et épurer les âmes. Concernant le rôle joué par Ennahdha à ce niveau, l'avocat Ben Halima soutient que ce parti, qui est une branche de l'Organisation internationale des Frères musulmans, créée de toutes pièces par les Anglais, ne fait qu'appliquer l'agenda de ces derniers. Il se dit également étonné de la présence, au sein du pôle juridique de lutte contre le terrorisme, d'un juge très contesté, à savoir le juge d'instruction du 13e bureau au tribunal de première instance, celui-là même qui est en charge du dossier de Chokri Belaïd et dont l'Ivra (Initiative pour la recherche de la vérité sur l'assassinat de C.B.) exige qu'il soit dessaisi de l'affaire, et qui a relâché des terroristes illustres. D'après l'avocat, il n'est pas possible pour des juges ayant été inféodés au régime pendant des décennies de changer foncièrement et de devenir indépendants. Dans de pareilles circonstances, il est inapproprié de parler de pouvoir judiciaire. Il est rejoint sur ce point par le membre de la Commission directive de la LTDH, Mohamed Salah Kherriji, intervenu le même soir, au JT de 20h de la chaîne nationale, qui pense que cette instance devrait évoluer et s'adapter à la conjoncture actuelle. Ce dysfonctionnement de l'appareil judiciaire est également critiqué par Issam Dardouri. Mais, le ministère de l'Intérieur est-il à l'abri de tout reproche ? Son rendement est-il si parfait au point de se permettre d'adresser des remontrances au premier ? Loin s'en faut. D'ailleurs, on continue toujours de parler de police parallèle en son sein, et le comportement parfois agressif des forces de l'ordre n'est pas la plupart du temps exempt d'esprit partisan. Là aussi, il faudrait procéder à des réformes profondes en vue d'instaurer la sécurité républicaine souhaitée et attendue par tous. Donc, pour atteindre cet objectif et installer un vrai pouvoir législatif qui soit entièrement indépendant vis-à-vis des pouvoirs législatif et exécutif et qui soit susceptible de jouer pleinement son rôle de contrôle des activités de ces derniers, il est indispensable qu'on privilégie l'Etat de droit aux dépens des intérêts partisans étriqués qui menacent la sécurité des Tunisiens et ruinent leur économie. C'est la vraie épreuve à laquelle sont soumis les partis de la coalition gouvernementale et leurs députés. Ils seront principalement jugés à l'aune de leur attitude au niveau de la question sécuritaire et de la lutte contre la corruption. C'est lorsque tous ces terroristes et ces contrebandiers seront appréhendés et jugés que l'on pourra admettre qu'ils ont réellement changé et qu'ils mettent en avant l'intérêt général de la patrie. Mais pas avant. Nonobstant, les déclarations d'hier venant du ministre démissionnaire, Lazhar Akremi, ne sont pas de nature à nous rassurer quant à un éventuel changement dans le sens voulu, puisque, d'après lui, il n'est pas possible de combattre la corruption avec des corrompus...