L'attribution du prix Nobel de la paix 2015 au Quartette du Dialogue national sonne comme un rappel. L'enthousiasme que cela génère auprès de très larges franges de la population en dit long sur les prédispositions psychologiques des Tunisiens, si prompts à réinventer le cap de l'espoir Le prix Nobel de la paix édition 2015 décerné à la Tunisie tombe à pic. Depuis quelques mois, l'ambiance est on ne peut plus délétère et morose. Terrorisme, crise économique endémique et tiraillements politico-politiciens plongent le pays dans une atmosphère lourde et suffocante. D'une certaine manière, la consécration du prestigieux prix Nobel de la paix est un retour aux sources. Les quatre organisations primées — Ugtt, Utica, Ltdh et Ordre des avocats — représentent bien la société civile. Outre leur rôle décisif dans le sauvetage du pays en 2013-2014, elles évacuent en quelque sorte la société politique, laquelle fait montre d'une faiblesse caractérisée sur fond de divisions, ostracismes et isolationnisme. Un rappel des fondamentaux de la révolution tunisienne en quelque sorte. Un rappel sourd ou intentionnel ? Toujours est-il que cela met en saillie des protagonistes non politiques, quoique politisés, de la scène. Reconnaissons-le. La cause principale de la crise économique est politique. La transition à viré depuis des années. C'est désormais une transition bloquée qui n'en finit pas de se reproduire. Tout est sujet à polémiques et blocages. Le système institutionnel lui-même participe de cette logique du rapide grippage. Et tous les chemins du blocage mènent aux partis. La vie politique tunisienne ressemble à la vie politique italienne, des décennies durant, depuis la Deuxième Guerre mondiale. Ici et là, la partitocratie est de mise. Ici et là, le système parlementaire bâtard est adossé à une bourgeoisie veule et à des interférences de structures politico-mafieuses tapies dans l'ombre. Les récentes évolutions en sont témoins. Les projets économiques d'envergure et à même d'assurer la relance tant souhaitée sont en suspens. Les caïds et leurs séides sévissent partout. Des hommes ténébreux, aux fortunes subites et louches, mènent le bal. Ils jouent les premiers violons dans les sinistres concerts des partis réduits à des coteries. Les attentats non élucidés, les magouilles savamment orchestrées, la corruption et les révélations supposées fracassantes, mais au bout du compte déroutantes, font florès. Un brin d'histoire s'impose. L'héritage de la révolution française est fort éloquent à ce propos. La révolution est née d'un rejet de la monarchie et d'une méfiance caractérisée à l'égard du pouvoir personnel. La Ière République s'était abstenue de créer la fonction de président. Une fois la monarchie abolie, la Constitution de 1793 avait instauré le régime d'assemblée. La Constitution de 1795 avait opté pour la présidence collégiale, le Directoire. Peut-être faudrait-il se méfier, chez nous, de la gestion partisane étriquée du pouvoir et s'en remettre à la gestion de la chose publique par l'intermédiaire de structures permanentes du Dialogue national chapeautées par la société civile. Aujourd'hui, cela saute aux yeux des aveugles. La politique politicienne grippe le système économique et le plein jeu des institutions souveraines. Même les structures constitutionnelles telles que la Haica, l'Instance vérité et réconciliation, en charge de la justice transitionnelle, et bientôt la Cour constitutionnelle, ont été conçues sur la base des segmentations partisanes, c'est-à-dire des divisions du butin tribales. L'attribution du prix Nobel de la paix 2015 au Quartette du Dialogue national sonne comme un rappel. L'enthousiasme que cela génère auprès de très larges franges de la population en dit long sur les prédispositions psychologiques des Tunisiens, si prompts à réinventer le cap de l'espoir. Faudrait-il que les coteries, tribus et castes partisanes ne s'en emparent pas à des fins politico-politiciennes. Parce que ces gens-là font leur la sentence d'Edgar Faure, ancien président du Conseil en France, haut dignitaire de la IVème République rallié au gaullisme sous la Ve, qui avait dit : «Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent qui change» !