Le gouvernement saute le pas, par le biais du ministère des Affaires étrangères, et annonce la mise au point d'une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme. La question est de savoir si elle sera acceptée par ceux qui n'ont pas participé à son élaboration Enfin, la Tunisie s'est dotée de sa stratégie nationale de lutte contre le terrorisme. Taïeb Baccouche, ministre des Affaires étrangères, en a révélé, mardi 3 novembre, les principaux axes: la prévention, la protection des personnes et des institutions, la poursuite des terroristes et la préparation des moyens de riposte. «Le document comportant la stratégie sera examiné lors d'un prochain Conseil ministériel avant d'être soumis au Conseil national de sécurité», précise-t-il. Seulement, les données révélées par le ministre à l'occasion d'un atelier national tenu les 3 et 4 novembre sur «la lutte contre l'extrémisme violent, l'incitation à commettre des actes de terrorisme et pour une application efficace des résolutions 1624 et 2178 du Conseil de sécurité de l'ONU» n'ont pas assouvi la faim des Tunisiens, plus particulièrement ceux qui suivent l'évolution des affaires terroristes éclatant épisodiquement dans le pays. On se pose, en effet, les interrogations suivantes: — Comment a été élaborée effectivement la stratégie annoncée par Taïeb Baccouche? — La stratégie en question signifie-t-elle l'enterrement définitif du congrès national contre le terrorisme reporté par le gouvernement à une date indéterminée ? — Comment vont réagir les partis politiques, principalement ceux de l'opposition, qui ont été écartés de l'élaboration de cette stratégie alors qu'ils ont toujours appelé à y être associés? — Pourquoi avoir ignoré la participation des organisations spécialisées et s'être contenté de la présence d'universitaires représentant certains ministères qu'on estime concernés par le fléau du terrorisme, à l'instar du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique ? Le gouvernement a choisi de faire cavalier seul Pour Abderrazak Hammami, secrétaire général du Parti du travail patriotique et démocratique (Ptpd), «il est clair que le gouvernement a choisi de faire cavalier seul en matière de lutte contre le terrorisme comme s'il s'agissait d'un fléau qui intéresse uniquement les gouvernants. Malheureusement, nous n'avons pas été appelés à l'élaboration de la stratégie révélée par Taïeb Baccouche. Les organisations et les associations spécialisées ont été également boudées et il paraît que seuls les cadres de certains ministères y ont pris part. Pourtant, il n'échappe à personne que les partis politiques et les organisations devaient y être impliqués pour apporter leur contribution, sinon ils ne se sentiront pas concernés par le plan d'action prévu par la stratégie arrêtée». Il ajoute : «Jusqu'à maintenant, on ne sait rien sur les raisons du report à une date indéterminée. Pourtant et même si on ne veut pas de notre contribution à l'effort national de lutte contre le terrorisme, nous poursuivrons notre mobilisation citoyenne face aux semeurs de mort, tout en souhaitant que la stratégie du gouvernement réussisse». Il y a erreur politique et morale Quant au Pr Jamil Sayyah, président de l'Observatoire de la sécurité globale, il s'interroge : «Le ministère des Affaires étrangères est-il habilité à élaborer, à lui seul, une stratégie d'une telle ampleur et même s'il se considère habilité à le faire pourquoi la stratégie n'est-elle pas annoncée de la présidence du gouvernement ? La stratégie proposée constitue une réaction politique au retrait ou au report aux calendes grecques du congrès national sur la lutte contre le terrorisme. Pour moi, il y a erreur politique et morale puisque ce n'est pas au ministère des Affaires étrangères de porter un tel projet. Ce sont plutôt les ministères de l'Intérieur et de la Défense qui doivent le faire». La stratégie trouvera-t-elle l'appui nécessaire auprès des partis politiques et des composantes de la société civile qui n'y ont pas contribué ? Le Pr Jamil Sayyah est tranchant dans sa réponse : «C'est un projet de haut en bas et il va être sûrement contesté. Tout simplement parce qu'il n'a pas été concerté. Ceux qui l'ont élaboré ont oublié manifestement que l'éradication du terrorisme est la responsabilité de l'ensemble du peuple tunisien, à travers toutes ses composantes». Une stratégie perfectible Du côté des participants à la mise en œuvre de la stratégie en question, on développe un discours selon lequel le temps presse, que les circonstances imposent de réagir ainsi et qu'«à la fin, la stratégie définie reste perfectible et pourrait évoluer à la faveur de la tournure des événements». Le Dr Fayçal Chérif, enseignant universitaire et analyste militaire, confie à La Presse : «J'ai pris part à l'élaboration de cette stratégie en ma double qualité d'universitaire au nom du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et d'expert. J'ai participé à l'atelier de réflexion réservé à la vie universitaire et au rôle que pourraient assumer nos établissements universitaires dans l'objectif d'immuniser nos étudiants contre le fléau terroriste. Il précise encore : «Les ministères participants vont créer, chacun de son côté, une commission spécifique qui aura pour tâche de proposer les solutions idoines à son domaine. Il y aura une structure de coordination qui collectera les propositions, les remarques et les failles qui seront découvertes au fil du temps». Pour conclure, le Pr Fayçal Chérif appelle à la création «d'un observatoire indépendant qui sera chargé d'évaluer les risques, les dysfonctionnements et de proposer les solutions possibles».