«Il faut faire la nuance entre un front parlementaire et une coalition gouvernementale, car cela n'intervient pas dans l'optique de former le nouveau gouvernement. Il s'agit plutôt d'un socle politique pour faire avancer la donne politique et en particulier le blocage qui marque actuellement le paysage politique». Les «ennemis d'hier» mettent aujourd'hui la main dans la main sous pression des alliances ponctuelles et d'une conjoncture politique inédite et ouverte à tous les scénarios. Lors de la campagne électorale des dernières élections législatives et présidentielle, qui pouvait croire qu'Ennahdha, Qalb Tounès et la Coalition Al-Karama allaient conclure une alliance politique contre nature dans l'objectif de créer ce qu'ils appellent un «front parlementaire de taille» ? En effet, en annonçant récemment la possibilité de former une coalition parlementaire forte de 130 députés d'Ennahdha, de Qalb Tounès et de la Coaltion Al-Karama, avec le soutien du Bloc parlementaire, Al Moustakbal et d'autres députés, le chef du bloc parlementaire du parti islamiste, Noureddine Bhiri, a voulu certainement repositionner son mouvement à la tête de la scène politique nationale. Que vise cette alliance ? S'agira-t-il d'une nouvelle manœuvre pour dominer le paysage politique et notamment parlementaire ? Ou est-il question d'une simple alliance contre nature vouée d'emblée à l'échec ? En tout cas, pour Samir Dillou, cette alliance vise la construction de ce qu'il appelle un socle politique qui permettra de mieux gérer la phase post-Elyès Fakhfakh. «Mais il faut certainement faire la nuance entre un front parlementaire et une coalition gouvernementale, car cela n'intervient pas dans l'optique de former le nouveau gouvernement, il s'agit plutôt d'un socle politique pour faire avancer la donne politique et en particulier le blocage qui marque le paysage politique», a-t-il déclaré à La Presse. Et d'insister sur le fait que le prochain gouvernement doit représenter le spectre politique le plus large. «Actuellement, c'est le flou total, tout reste tributaire des derniers rebondissements et concertations de dernière minute», a-t-il poursuivi. Mais comment Ennahdha pourra convaincre ses bases de l'efficacité, mais surtout de la nécessité d'une alliance avec Qalb Tounès, un parti qu'il a ouvertement diabolisé lors de la campagne électorale ? Pour Samir Dillou, ce sont des « choses qui arrivent dans la vie politique », d'autant plus qu'il s'agit «de conflits qui ont été dépassés». «Même le Mouvement du peuple et le Courant démocratique sont aujourd'hui prêts à gouverner avec Qalb Tounès», nous a-t-il rappelé pour justifier ce revirement de situation d'Ennahdha. Mais si pour les dirigeants nahdhaouis les conflits avec Qalb Tounès appartiennent au passé, cette nouvelle alliance qui commence à apparaïtre dans l'horizon de la scène politique a été bâtie, rappelons-le, sur des objectifs ponctuels et risque de s'effondrer au moindre nouveau rebondissement politique. Mais dans ce contexte où tous les détails doivent être pris en considération, Ennahdha est-il également prêt et capable de gérer la mauvaise réputation de la Coalition Al-Karama et d'assumer les positions parfois radicales de ses dirigeants ? Pour Samir Dillou, la «Coalition Al-Karama, au vu de sa réputation et de ses relations tendues, notamment avec la centrale syndicale, ne peut pas être un allié politique d'avenir», écartant dans ce sens la formation d'un nouveau gouvernement sur la base de ce rapprochement. Le double jeu de Qalb Tounès Cette alliance pourrait être également affaiblie par un contexte de manque de confiance entre ses trois acteurs. Car leur rapprochement politique qui marque cette phase ne peut pas faire oublier les différents tiraillements et manœuvres politiques qui les ont opposés ces derniers mois. D'ailleurs, pour certains observateurs de la scène politique, Qalb Tounès, bénéficiant d'un poids parlementaire considérable, a entamé un double jeu politique qui lui garantirait le meilleur positionnement possible. Utile dans ce sillage de rappeler que c'est le parti de Nabil Karoui qui a assuré l'ascension de Rached Ghannouchi à la présidence du Parlement au terme d'un accord politique de dernière minute, mais c'est lui aussi qui a fait tomber le gouvernement Habib Jemli sur fond d'une divergence avec le parti de Rached Ghannouchi. Tout cela pour dire que les positions de Qalb Tounès pourraient fluctuer en fonction des conjonctures et conditions politiques. Dans ce cas, Ennahdha s'il veut bâtir ce qu'il appelle un front parlementaire de taille doit en effet s'attendre à de possibles revirements de situation qui peuvent chambarder tout le paysage politique et parlementaire. Car, en effet, dans ce paysage qui ressemble de plus en plus à un jeu d'échecs politique impliquant tous les protagonistes de la scène nationale, la prochaine phase sera ouverte certainement à tout genre d'alliances politiques en attendant la mise en place du nouveau gouvernement. Et comme le confirmait le chef du parti Ennahdha, «Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis», il faut s'attendre en effet à de nouveaux rebondissements politiques de taille, d'autant plus que les tractations et concertations entre le mouvement du Peuple et le Courant démocratique, d'une part, et le parti Qalb Tounès, d'autre part, autour du prochain chef du gouvernement seraient sur le point de démarrer. Une donne qui affaiblirait davantage la position d'Ennahdha, si on faisait référence aux déclarations des dirigeants d'Attayar et d'Echaâb qui veulent isoler politiquement le parti de Rached Ghannouchi.