La consécration à la 26e édition des JCC (21-28 novembre) du film marocain «L'orchestre des aveugles» de Mohamed Mouftakir est amplement méritée. Fort de nombreux prix dans d'autres festivals internationaux de cinéma, le deuxième opus de la trilogie (le premier est «Pégase»), que consacre le réalisateur à la question du père et du pouvoir, avait toutes les qualités pour remporter à l'unanimité et haut la main le Tanit d'or des JCC. Cela étant dit, «L'orchestre des aveugles» aborde donc le thème du pouvoir à travers la quête initiatique d'un enfant de 10 ans qui essaie d'apprendre la vie aux côtés d'un père rigoureux et froid mais le père apprend aussi de son fils. Les événements ont lieu dans les années 70 au Maroc sous le règne du roi Hassen II, ce qui a exigé une reconstitution méticuleuse de cette époque. Dans la maison familiale, Mohamed, alias Mimou, avec son regard innocent tente de comprendre le monde des adultes en mimant notamment son oncle, militant de gauche, mais c'est surtout en accompagnant son père, chef d'orchestre de musiciens contraints de se convertir en aveugles pour se produire lors des mariages devant les femmes. Des clins d'œil à «Halfaouine» «L'orchestre des aveugles» est le cousin de «Halfaouine, l'enfant des terrasses» de Férid Boughedir. Ce dernier aime beaucoup le film mais cela ne l'empêche pas d'estimer qu'il s'agit d' «une paresse intellectuelle» allant jusqu'à accuser le réalisateur de «plagiat». Mohamed Mouftakir reconnaît certains «clins d'œil au film Halfaouine», néanmoins, il précise que son film est à moitié autobiographique. Certains personnages comme la «bonne» qu'on retrouve dans «Halfaouine» ont bel bien existé dans la vie de Mouftakir sauf peut-être la «muette» (rôle joué par Zahira Ben Ammar dans le film tunisien) qui fait référence à Halfaouine. «J'ai voulu donner ce rôle à Zahira Ben Ammar mais je n'avais pas ses contacts», avoue le réalisateur. Il n'empêche que quelle que soit la ressemblance, cela ne réduit en rien la qualité excellente de «L'orchestre des aveugles» qui, contrairement à «Halfaouine», prône la réconciliation avec le père alors que le film tunisien appelle à la séparation. Mimou est très proche de son père (Younès Megri, chanteur des années 70 connu pour son célèbre tube «Lilli Touil», excellent comme acteur). Un père artiste mais autiste qui somme son fils d'être le premier de sa classe ce que le gamin ne réussit pas à faire et est obligé de falsifier son carnet de notes en se faisant aider par son oncle pour ne pas provoquer la colère de son géniteur. Une veine néoréaliste Si l'école n'intéresse pas beaucoup l'enfant, il lui reste l'école de la vie : l'amourette avec la «bonne» de la voisine, plus âgée que lui, à qui il apporte les gâteaux des fêtes de mariage pour lui faire plaisir ou une boucle d'oreille égarée, les cafés, etc., la mort de la grand-mère puis celle du père procréateur et du père symbolique, celui qui détient le pouvoir. Très touchante est la scène où le père demande à son fils ce qu'il souhaite devenir : «Je veux devenir roi», répond-il avec innocence. Mais il est vite repris par le père qui laisse apparaître un rictus : «On ne peut pas être roi». En arrière-plan, trône la photo de Hassen II. Au Maroc, il semble difficile d'opérer une rupture totale avec le pouvoir, royal en l'occurrence. C'est pourquoi, avec subtilité, intelligence et beaucoup d'habileté, le réalisateur évite les écueils et ne tombe pas dans le cliché. Il contourne par l'évocation de la mort comme ultime salut pour retrouver sans doute une liberté confisquée. «L'orchestre des aveugles» transgresse certaines valeurs en adoptant la ruse, travestissement et mensonge qui sont les composantes sur lesquelles repose le cinéma et à ce propos les images d'une projection d'un film de Charlot justifient clairement cette thèse. Un film simple, sincère, beau et à la portée du grand public. Il n'en faut pas plus