Pour sortir des sentiers battus, il fallait sortir des lieux consacrés à l'art, aller vers un public qui n'était pas familier des galeries et des musées, se trouver sur son passage, ou l'attirer dans des lieux insolites et décalés. Au Caire, ce jour-là, le président Sissi prononçait un discours mémorable. Il annonçait l'ouverture d'une nouvelle voie sur le canal de Suez. Au Darb 1718, au cœur même du vieux Caire à Fustat, on avait bien d'autres sujets d'intérêt. Dans ce centre culturel érigé au milieu d'un village d'artisans, dans une région qui réunit les plus beaux témoignages de l'histoire de l'Egypte, la première mosquée d'Afrique, mais aussi l'église grecque de Saint George, la forteresse de Babylone, et le musée copte, on parlait ce jour-là un langage universel, celui de l'art contemporain. Créé par Moataz Naseredine, peintre, sculpteur et agitateur culturel, ce centre se veut le lieu de résonnance et le cœur battant de l'art et de la culture contemporaine en Egypte. Cohabitant en bonne intelligence avec des artisans céramistes ou ferronniers, Darb offre divers espaces d'expositions ou de manifestations culturelles. Là s'ouvraient donc les premières expositions d'une série d'évènements artistiques qui allaient investir le Caire un mois durant, évènements éclatés en plusieurs lieux et qui tous se réclamaient du même label : «Something Else», une biennale d'art contemporain «Off». Car il y avait bien une biennale au Caire, institutionnelle et traditionnelle, obsolète en un mot. Et les art--+istes convenaient bien qu'elle ne répondait pas à leurs aspirations, leurs motivations et leurs modes d'expression. On allait donc leur proposer «Quelque chose d'autre», ou «Something Else». Et d'abord pour sortir des sentiers battus, il fallait sortir des lieux consacrés à l'art, aller vers un public qui n'était pas familier des galeries et des musées, se trouver sur son passage, ou l'attirer dans des lieux insolites et décalés. C'est donc dans ce village d'artisans qu'est Darb, mais aussi sur la placette et les boutiques désaffectées qui entouraient un cinéma-théâtre célèbre au Caire, ou encore dans un de ces anciens et superbes immeubles désaffectés du centre-ville qu'allaient exposer les 11O artistes issus de 50 nationalités, réunis par 8 commissaires d'exposition venus eux aussi du monde entier. De la peinture, bien sûr, mais pas beaucoup, de la photo, énormément, — et l'on se dit que l'art contemporain est un art de l'immédiat —, de la vidéo, des installations, des performances à travers ces expositions multiples qui ont pu attirer le public, quand bien même se déroulant le jour des élections... Un invité d'honneur à cette biennale dont on nous promet qu'elle deviendra probablement un évènement annuel : la Tunisie. La Tunisie, fortement représentée dans l'équipe d'organisation de la biennale puisque l'un des deux Project managers est la toute jeune et redoutablement efficace Olfa Feki. Laquelle Olfa Feki est également commissaire de l'exposition d'artistes tunisiens, seule exposition consacrée à un pays, et dont Hager Azzouz, scénographe connue pour son talent de créateur d'ambiances, agent d'artistes, mais aussi remarquable organisatrice d'évènements, est la cheville ouvrière. Pour cette exposition, on avait invité trois photographes, Sophia Baraket, Hela Ammar et Sabri Ben Mlouka, deux vidéastes, Mouna Jmal Siala et Rochdi Belgasmi et un sculpteur, Noutayel Belkadhi. Dire que l'exposition tunisienne était une des plus belles de par sa cohérence, la qualité des œuvres, et le soin porté à l'accrochage et à la mise en atmosphère, ne serait pas faire preuve de chauvinisme, mais se rallier à l'avis général. Et l'on ne peut ne pas signaler le travail de Hela Ammar dont la série «Identities» est remarquable, celui de Sabri Ben Mlouka, le plus discret et le plus talentueux des photographes, la recherche de Sophia Baraket sur les Hammams, et leur univers ambigu. On ne saurait, également, ne pas s'arrêter sur la vidéo de Mouna Jmal qui met en scène son fils Hamza dans une oppressante scène d'effacement à laquelle le public trouvait différentes interprétations, ou sur celle de Rochdi Belgasmi, qui restitue la vitalité du fezzani dans «Zouffri». Pour finir sur les œuvres de cet équilibriste de génie qu'est le sculpteur Noutayel Belkadhi qui fait danser l'acier. Dans cette ville qui ne dort jamais, et dont l'extraordinaire énergie diffuse une vitalité dont les artistes se font caisse de résonnance, la Tunisie avait offert une bien belle image. Alya HAMZA