Est-il vraiment nécessaire de se poser la question? Et ne sommes-nous pas, selon ce lecteur plein d'humour, «des Tunisiens, mangeurs de couscous, et amateurs de chakchouka?» Oui, mais nous sommes aussi, nous le savons tous, capsiens puniques, romains, vandales, arabes, espagnols, grecs, turcs. Ce que nous savions moins, et cela la révolution l'a mis à jour, c'est que nous avions des cultures, des convictions, des obédiences, des références différentes, souvent antinomiques, et qu'il n'y avait pas une Tunisie, mais un pays pluriel. Aussi, se poser, et poser la question «Chkoun Ahna», devient pertinent pour des artistes qui sont les caisses de résonance d'une société, ceux qui, avant tout le monde, flairent l'air du temps, décèlent les ruptures, annoncent les dangers. «Chkoun Ahna» est l'évènement majeur de la première édition de «Carthage Contemporary», rendez-vous artistique qui se tient le 12 mai prochain, qui ambitionne de devenir annuel et qui se compose de rencontres, de tables rondes, et d'autres expositions. «Chkoun Ahna» est une exposition collective qui a choisi un lieu hautement symbolique, et à ce jour jamais consacré à ce genre d'évènements : le musée de Carthage. Là-haut, sur cette colline, d'où les siècles nous regardent, et où se superposent les strates de l'Histoire, la pluralité sera mise à nu : qui sommes-nous, rencontre de ce carrefour de civilisations, d'où venons-nous, qui nous a fait ce que nous sommes? Khedija Hamdi, historienne de l'art, et Timo Kaabi-Linke, critique d'art, écrivain et sociologue, sont les deux commissaires de cette exposition d'art contemporain. Passionnés par leur, projet, ils parlent à deux voix, s'interrompent, se complètent : «Nous voulons bâtir une scène artistique contemporaine en Tunisie. En implantant l'art contemporain au sein de l'archéologie, nous avons voulu créer un évènement international qui ait un impact puissant. Carthage, c'est le retour aux origines. C'est là que tout commence, et nous avons demandé aux artistes d'adapter leurs œuvres au lieu proposé. Il s'agira pour eux de présenter l'état d'urgence actuel dans un cadre serein». Quant aux artistes sélectionnés, huit sur vingt-huit sont tunisiens, les autres viennent de pays dont l'Histoire, à un moment ou un autre, a été mêlée à celle de notre pays : italienne, à cause de la Rome antique, espagnole à cause des Andalous, égyptien parce que les Fatimides ont quitté Mahdia pour édifier Le Caire, turque par souvenir de l'empire ottoman, allemande en référence aux Vandales, iranienne, puisque c'est de là que venaient les Alains, saoudienne puisque les Beni Hilal en provenaient... Par-delà ce côté anecdotique de la sélection des participants, il faut tout de même signaler que de très grands artistes contemporains participeront à cette exposition : Kader Attia, dont les œuvres sont dans tous les musées du monde, Saadane Afif, prix Marcel Duchamp, Hela El Koussy, prix Abraaj, Ahmed Ogüt qui expose à La Tate Galery, Lara Faveratto, qui exposa à la Biennale de Venise, Ahmed Mater, Sirine Fattouh, Ziad Anter... Certains d'entre eux présenteront des œuvres inédites puisque 14 productions sont prévues pour cette exposition. On utilisera pour cela tous les médias artistiques connus de l'art contemporain : vidéo, photo, sculpture, broderie, installation, performance... Autour de «Chkoun Ahna» et dans le cadre de «Carthage Contemporary», aura lieu un cycle de conférences, à l'Acropolium, un circuit à travers toutes les galeries alentour qui sont, toutes, parties prenantes de la manifestation. Carthage Contemporary, qui se fait en coopération avec le ministère de la Culture, est soutenu par le Centre des arts vivants, le British Council, l'Institut Français et le Gœthe Institute. Il est produit par Yalil Prod, jeunes promoteurs d'évènements culturels bien connus. La manifestation a séduit des sponsors qui ont accepté, l'un (Socobat) de restaurer le musée de Carthage sous la surveillance d'experts du patrimoine, l'autre (Kilani Group) d'assurer la scénographie, le troisième (Vision et Visions) de se charger de la communication. Quant à Abraaj Capital, institution financière émiratie qui octroie chaque année, à l'Art Fair de Dubai, un prix éponyme désormais célèbre, elle prête et assure un certain nombre des œuvres qui seront exposées. Carthage Contemporary, et son évènement phare, l'exposition «Chkoun Ahna ?» est donc sur les rails. Souhaitons-lui de devenir un rendez-vous incontournable dans le calendrier arty qui draine, aujourd'hui, le nouveau tourisme culturel que nous rêvons de séduire.