Excellence, Monsieur l'ambassadeur, De nombreux Tunisiens vous seraient reconnaissants si vous acceptiez de transmettre à votre gouvernement le constat établi que la greffe de l'islamisme qu'il a adoubé n'a pas pris en Tunisie et ne prendra jamais. Dix ans ont suffi pour le vérifier avec un bilan des plus catastrophiques. Vous êtes les amis de la Tunisie depuis le premier accord d'amitié et de commerce conclu le 26 mars 1799, exactement depuis deux cent vingt-deux ans. Alors accompagnez-nous pour tourner la page de cette décennie sombre en modérant votre prévenance à l'égard de cette faction intruse et malfaisante dont de plus en plus de Tunisiens dénoncent les déprédations et la félonie. Vous savez que le peuple tunisien est le produit d'une histoire plusieurs fois millénaire, il a réussi à neutraliser tant d'envahisseurs et à réduire à néant les usurpateurs. Laissez les Tunisiens régler entre eux leurs différends afin que notre amitié se maintienne et se bonifie dans l'intérêt des deux pays. Si par malheur, l'image des Etats-Unis d'Amérique se confondait avec les forfaits et les crimes d'une telle caste nuisible, elle en pâtirait aux yeux des Tunisiens. Ce que personne ne souhaite. Pendant la lutte pour l'indépendance de la Tunisie, nos leaders avaient entretenu de très bonnes relations avec les Etats-Unis d'Amérique. Au début des années 50, Habib Bourguiba s'était rendu chez vous pour plaider la cause de son pays. Pendant toute la période de la Guerre froide, les Etats-Unis d'Amérique ont bénéficié en Tunisie d'un partenariat loyal de la part d'un leader dont les positions étaient sincères et franches, de Dwight Eisenhower à Ronald Reagan. Certes, il y eut quelques déceptions qui ont failli ébranler cette amitié, lorsque le 1er octobre 1985 Israël bombarda le quartier général de l'Organisation de libération de la Palestine situé sur la côte sud de la baie de Tunis à Hammam-Chatt. Soixante-huit Palestiniens et Tunisiens périrent dans l'attaque. Le président Reagan crut bon de considérer l'attaque comme une action « légitime » et annonça qu'il utiliserait le véto américain contre tout projet de résolution dénonçant Israël au Conseil de sécurité de l'ONU. On a découvert alors que l'engagement solennel américain de protéger « l'inviolabilité et l'intégrité territoriale de la Tunisie » n'avait plus aucune valeur. Ebranlé par le raid aérien, mais encore plus par l'attitude du gouvernement américain, Bourguiba convoqua l'ambassadeur américain pour protester, il exprima sa grande déception d'avoir sacrifié un pays ami aussi facilement. Même si le président Reagan dépêcha son vice-président George H. W. Bush pour raccommoder les relations avec le gouvernement tunisien, et que le représentant des Etats-Unis d'Amérique s'abstint au Conseil de sécurité de l'ONU de recourir au droit de véto, laissant passer la résolution 573, dans laquelle le Conseil « condamne énergiquement l'acte d'agression armée perpétré par Israël contre le territoire tunisien, en violation flagrante de la Charte des Nations unies et du droit et des normes de conduite internationaux », cette épreuve laissa des traces pénibles dans la mémoire des Tunisiens jusqu'à nos jours. Les décideurs américains actuels devraient se dépêcher de rajuster leur politique étrangère aux nouvelles réalités émergeant en Tunisie, car vous n'avez aucun intérêt à voir la Tunisie devenir un Etat chaotique, en faillite et pourvoyeur de terroristes. Une lame de fond, concomitante d'un essor inexorable du sentiment patriotique, gagne toutes les strates de la société et submergera l'écume de la vague islamiste. Faut-il rappeler que la relation sécuritaire a été mise à l'épreuve un certain 14 septembre 2012 sous le gouvernement de la Troïka de triste mémoire ? Une horde de salafistes djihadistes incubés par un mouvement obscurantiste ont attaqué l'ambassade des Etats-Unis et l'école américaine adjacente dans la banlieue de Tunis. Cette attaque a horrifié les Tunisiens autant que les Américains. Les salafistes ont pillé les deux édifices et ont mis le feu à une partie de l'école. Ils ont abaissé et brûlé le drapeau américain et hissé leur propre drapeau noir au mât de l'ambassade. Cette attaque a été effectuée par le groupe Ansar al-Shariâ dont l'un des leaders en Tunisie, Seifallah Ben Hassine, avait combattu en Afghanistan et avait été incarcéré par le gouvernement tunisien jusqu'à sa remise en liberté par l'amnistie générale qui a suivi la chute de l'ancien régime. Il a été prouvé que les dirigeants d'Ennahdha choient ses supplétifs et ferment les yeux sur leurs tactiques inacceptables lorsqu'ils essayent de soumettre les gens à leur vision de la vie sociale par la terreur. Un enregistrement vidéo diffusé sur les réseaux montre R. Ghannouchi en train de recommander aux salafistes d'être patients pour ne pas faire capoter ses objectifs à long terme : « Dans ce pays, les laïcs contrôlent tout : les médias, l'économie, l'armée... Je dis à nos jeunes salafistes : soyez patients. Pourquoi se hâter ? Prenez votre temps pour consolider vos acquis. Aujourd'hui, nous avons plus qu'une mosquée, nous avons un ministère des Affaires religieuses, nous avons plus qu'une boutique, nous avons un Etat ». Victoria Nuland, porte-parole du Département d'Etat ( juillet 2010 à août 2013) disait : « Nous ne jugerons pas [les islamistes tunisiens] par leur nom. Nous allons les juger par leurs actions ». Leurs actions sont à présent pleinement identifiées. Les autorités américaines et leurs think tanks sont libres de tirer des plans sur la comète, mais ils commettraient encore une autre faute grave, qui ne garantira nullement la sauvegarde de leurs intérêts, s'ils continuent à soutenir cette tendance terroriste et mafieuse et à adopter une attitude pour le moins inamicale avec un pays considéré comme « allié majeur non membre de l'Otan ». Evidemment, cette lettre ouverte adressée aux autorités américaines, n'engage que ma modeste personne. Mais elle est représentative des aspirations d'une large frange de la société civile en Tunisie, consciente des enjeux et des risques que représente la persistance de ce soutien autodestructeur, qui contribuera irrémédiablement et du même coup à dégrader l'image de votre pays auprès du peuple tunisien. Je vous prie, Excellence, Monsieur l'ambassadeur, d'agréer l'expression de mes sentiments respectueux. Ridha Ben Slama Un citoyen tunisien libre