Déclassée et fermée sur elle-même, l'école tunisienne n'est plus ce qu'elle était, du moins comme l'a bien imaginée Bourguiba : gratuite, obligatoire, mais aussi inclusive. Le système ne produit aujourd'hui que des chômeurs et l'école publique s'est retrouvée, de ce fait, à l'heure de l'ultra-mondialisation, encore loin d'épouser son temps, et plus souvent mise à l'écart de toute œuvre de modernisation. Il a fallu attendre la révolution pour qu'elle fasse l'objet de tous les débats. M. Neji Jalloul, ministre de l'Education, reconnu pour être homme de terrain et de toutes les confrontations, a commencé par relancer, effectivement, le fameux chantier de l'école de demain. Hier, lors d'une conférence de presse sur « La réforme éducative : dialogue et recommandations », tenue à Tunis, par le Centre d'étude de l'islam et de la démocratie (Csid), il a évoqué ce dossier si délicat et si lourd. Il n'a pas mâché ses mots pour rentrer dans les coulisses éducatives, longtemps tenues secrètes. Dénonçant l'échec de ses prédécesseurs et ceux ayant assumé des responsabilités du temps de Ben Ali, le ministre semble braver les dits et les non-dits dans ce domaine, affirmant avoir réalisé ce qui n'a pas été fait depuis des années. Dans ce sens, il a évoqué les projets engagés au début des années 90 et en 2002 sur la réforme éducative, les qualifiant de n'être plus concluants. Et c'est leur échec, a-t-il déploré, qui nous a amenés à ce stade de déchéance à bien des égards. « Laissez-nous tenter nos chances de rendre à l'école sa vraie vocation d'antan et la hisser à un tremplin pour l'emploi», lance-t-il. Mais, il a avoué l'impossibilité de pouvoir calquer le modèle finlandais, toujours cité comme exemple réussi. A l'en croire, ni les moyens ni le contexte général ne permettent de s'en inspirer. A chaque pays sa propre vision des choses. « On veut que notre école soit typiquement tunisienne, en harmonie avec le vécu social, mieux ancrée dans son identité arabo-musulmane et qui correspond aux attentes des Tunisiens», a ainsi répondu le ministre. Les raisons de réforme Nous sommes devant une école en mal de restructuration, d'autant plus confinée dans l'oubli et l'immobilisme, avec un état des lieux qui laisse encore à désirer. Pis encore, seulement 3% du budget du ministère de l'Education est réservé aux chantiers de restauration et de développement, tandis que le reste (97%), est englouti par la masse salariale. Sans pour autant oublier les multiples primes et avantages réclamés, à tort ou à raison, à tour de bras. Il y a donc urgence à agir pour réformer. Et la mission n'est pas aussi aisée, raison pour laquelle le dialogue national sur la réforme éducative, entamé en avril dernier, n'a, selon lui, exclu personne. Elèves, enseignants, parents, syndicats et société civile, tous sont de la partie. L'Ugtt et le réseau « Ahd » — un collectif d'associations dont les femmes démocrates et l'Institut arabe des droits de l'Homme — étaient, dès le départ, partenaires du ministère. Tout remettre en chantier L'on se penche, désormais, à remettre tout en chantier : l'amélioration de l'infrastructure des écoles dont 3 mille déjà restaurées, révision du temps scolaire, annulation des cours particuliers, les cantines, le système des vacances et l'enseignement en mode semestriel, et bien d'autres actions qui sont en vue (réforme pédagogique, formation d'enseignants, conseil de l'institution..). Il a annoncé que de nouveaux manuels scolaires seront disponibles dès la prochaine rentrée et destinés, en premier lieu, aux élèves de la 1ère et de la 2e années primaires. « De surcroît, on est actuellement dans une course contre la montre, afin de remettre les pendules du temps scolaire à l'heure de l'Europe, de manière à offrir à l'élève la possibilité de s'adonner à des activités culturelles et récréatives», estime-t-il. S'y ajoutent plus de deux mille procédures de réforme qui ont été décidées pour être appliquées d'ici 2017. L'objectif idéal, conclut-il, est de faire de l'élève tunisien un citoyen à part entière, mieux enraciné dans son identité et beaucoup plus ouvert aux autres cultures et civilisations. L'homme de demain, pour ainsi dire. Peut mieux faire Autant d'objectifs auxquels tient fort M. Radhouane Masmoudi, président du Csid. Il a souligné, à l'ouverture des travaux, qu'il y a un consensus sur l'impératif d'une réforme éducative censée répondre aux exigences de l'époque, compte tenu du rôle de l'école dans la modernisation des sociétés. De même, l'élève doit, aussi, être l'axe central de l'opération éducative, appelé à agir et réagir, en symbiose avec son environnement. De son côté, le directeur des programmes au ministère de tutelle, M. Nejib Zebidi, s'est étalé sur les différentes phases du dialogue national sur la réforme du système éducatif, estimant qu'il a abouti à un large consensus. D'après-lui, cet aboutissement est le fruit d'un travail collégial, issu d'un franc débat national et documenté dans un rapport synthétique élaboré par une dizaine de commissions exécutives chargées du suivi de la réforme. En qualité d'expert international dans le domaine, M. Mohamed Ben Fatma s'est focalisé sur l'évaluation du processus. Evoquant son « livre blanc » sur la réforme éducative en question, il a mis en relief la participation de la coalition civile dont il est président. Malgré ses divergences sur certains points de la réforme avec le projet du ministère, il n'a pas manqué de louer cette initiative, mais non sans tenir à exposer à l'auditoire la sienne. Elle s'appuie sur deux principaux axes institutionnel et pédagogique : créer une faculté de formation du corps enseignant et repenser les méthodes d'apprentissage vers plus de qualité et de bonne gouvernance. Evoquant le projet du ministère, l'expert estime qu'il peut mieux faire.