Par Soufiane BEN FARHAT Décidément, l'histoire a de ces grimaces. On peut dire qu'il y a une espèce de malédiction du congrès constitutif de Nida Tounès à Sousse. Ses organisateurs ont péché par excès de triomphalisme. Ils croyaient donner le coup de grâce à l'aile dissidente du parti, guidée par Mohsen Marzouk, et sceller le triomphe du binôme Ennahdha-Nida, principaux partis de la coalition gouvernante. Témoin, l'accueil, à Sousse, du tandem Béji Caïd Essebsi, président de la République et fondateur de Nida Tounes, et de Rached Ghannouchi, guide suprême d'Ennahdha. Tous les deux ont pris la parole sous les flux nourris des applaudissements. Tout prédisait un triomphe cinglant. Il n'en fut rien. Les assises mêmes du congrès furent ébranlées par les dissidences de cellules de base. Puis par des départs bruyants et intempestifs de dirigeants courroucés de Nida, figures de proue du parti. Puis par les prises de positions désabusées de bien des dirigeants, ceux-là mêmes qui étaient les artisans du triomphe supposé de l'aile dominée par Ridha Belhaj et Hafedh Caïd Essebsi. Quelques jours plus tard, c'est au tour de Ridha Belhaj, ministre chef du cabinet présidentiel, d'être démis de ses fonctions sous forme de démission volontaire. L'édifice des alliances, bâti au cours des derniers mois, s'écroula comme un château de cartes. La désillusion devint monnaie courante auprès des plus zélés défenseurs de la ligne Belhaj-Caïd Essebsi junior. Et puis chaque camp franchit le Rubicon. Celui des congressistes de Sousse en pataugeant à la diable de surcroît. Présidence de la République, gouvernement et Parlement en subirent les contrecoups. L'engagement ferme et au premier degré de l'ex-chef du cabinet présidentiel a porté un sérieux coup à l'image du président de la République. Cela est d'autant plus manifeste que l'un des protagonistes est le propre fils du chef de l'Etat. La mise à l'écart du chef du cabinet présidentiel se veut comme un signal de renversement de la vapeur. «Le président Béji Caïd Essebsi ne tolère plus l'interférence entre la présidence de la République et les partis», murmure-t-on dans l'entourage du président. Soit. Mais l'image du président Béji Caïd Essebsi devra être remise à flots par d'autres mesures encore. Côté gouvernement, on n'est guère en reste. Des membres du cabinet gouvernemental furent impliqués, d'une manière on ne peut plus ostentatoire, dans le camp Belhaj-Essebsi junior. Le chef du gouvernement, M. Habib Essid, a laissé faire avec un regard complaisant. Mais, depuis les déboires du congrès de Sousse, il aurait refusé d'assister aux travaux du comité politique de Hafedh Caïd Essebsi-Ridha Belhaj. Ce dernier est un allié inconditionnel du chef du gouvernement, au point que sa mise à démission l'entache et l'affaiblit sérieusement. Le Parlement, lui, est l'arène des joutes cruelles des frères-ennemis. La constitution d'un bloc parlementaire autonome des députés partisans de la ligne Marzouk en est témoin. Elle a permis au mouvement Ennahdha de devenir le principal bloc parlementaire dans les travées de l'Assemblée. Ce qui n'est guère une moindre chose. En attendant d'autres manœuvres et positionnements plus tranchés et problématiques. Ayant prématurément fait valoir leur suprématie, les partisans du congrès de Sousse de Nida Tounès se retrouvent dans une position inconfortable et les rangs affaiblis par de profondes dissensions. L'autre camp en fait son pain béni. Et les institutions souveraines de la IIe République en pâtissent. «Messieurs les Anglais, tirez les premiers», avait-on dit autrefois dans une bataille opposant des troupes françaises aux troupes anglaises du temps de Louis XV. Et ce ne fut point de la courtoisie. Dans le combat d'infanterie, la troupe qui tirait la première dans un affrontement rapproché se retrouvait désarmée devant le feu de l'ennemi, le rechargement des armes s'avérant très long. Et c'est tout dire.