Les Tunisiens vivent dans la hantise de voir des millions de réfugiés libyens affluer vers notre pays aussitôt que les avions occidentaux commenceront à bombarder les «jihadistes daechistes» installés en Libye. On se prépare, avec tous les moyens disponibles, afin que la Tunisie évite de s'enliser, contre son propre gré, dans une guerre qui menace l'ensemble de la région nord-africaine Dans la perspective d'une intervention militaire occidentale en Libye, dont le déclenchement officiel semble approcher à pas de géant (les frappes ciblées ont déjà démarré), la Tunisie vit un véritable état d'ébullition, d'attente angoissée et d'hypothèses aussi alarmantes et effrayantes les unes que les autres. Et les événements qui se sont produits ces derniers jours ne font qu'exacerber la tension et susciter toutes les peurs et les craintes possibles. Il s'agit, entre autres, du conteneur d'armes saisi à Nabeul, du dévoilement d'un projet d'attentat terroriste visant trois bars à l'avenue Habib-Bourguiba et de l'action terroriste projetant de brûler vif un député nidaïste. L'atmosphère générale s'étant transformée en une atmosphère de pré-guerre où l'on s'attend à tout, il est normal que tous les analystes, experts et politologues prennent le relais pour «bombarder» l'opinion publique avec leurs analyses, les informations exclusives dont ils disposent au nez et à la barbe des autorités et qu'ils étalent à longueur de journée sur les plateaux TV et dans les studios de radio et avec leurs prévisions et les approches qu'ils développent afin que la Tunisie évite tant les malheurs de la guerre «imminente» sur le sol libyen que les conséquences de l'après-guerre. Des solutions à la pelle Il existe, d'emblée, une constante partagée par tous les experts, qu'ils se proclament stratèges sécuritaires ou militaires ou stratèges économiques : les forces armées américaines, britanniques, françaises et italiennes frapperont la Libye dans les jours à venir, voire dans les prochaines heures. François Gouyette, ambassadeur de France à Tunis, a beau déclarer que «la France n'a pas l'intention d'intervenir en Libye» et que son pays «a la même approche que la Tunisie, à savoir favoriser une solution politique», personne ne prête de crédibilité à sa déclaration. Idem pour Martin Schulz, président du Parlement européen, qui a déclaré : «Une intervention militaire en Libye n'est pas envisageable à l'heure actuelle», ajoutant : «L'espoir du dénouement de la crise dans ce pays est toujours permis». Pour les experts tunisiens, les dés sont jetés et il faut passer dès à présent aux solutions pratiques. Ainsi Radhi Meddeb, expert économique et président de l'association «Action et développement solidaire», parle-t-il «de près de deux millions de réfugiés sans ressources qui vont s'installer en Tunisie. Et il faut loger ces réfugiés, les nourrir et scolariser leurs enfants, d'où la nécessité pour le gouvernement tunisien de faire pression sur la communauté internationale (Radhi Meddeb ne précise pas sur quels pays et sur quelles organisations internationales il faut faire pression) pour aider la Tunisie à supporter les retombées économiques de l'hébergement de ces millions de réfugiés et surtout de leur nourriture. Mohsen Hassen, ministre du Commerce, a déjà pris les devants et annoncé : «Le ministère se prépare à consolider les stocks de réserve de certains produits de première nécessité et les contrôles économiques vont s'intensifier en vue de faire face aux spéculateurs qui vont tout faire en vue d'augmenter les prix». Mais qu'en est-il sur le plan sécuritaire ? Pour le moment, la seule information officielle a été dévoilée par Khemaies Jhinaoui, ministre des Affaires étrangères : «Une commission nationale sera constituée sous la supervision du ministère et aura pour rôle d'élaborer un plan prévoyant plusieurs scénarios en cas d'intervention militaire en Libye. Le plan comporte deux phases sécuritaire et humanitaire. Une ceinture sécuritaire régionale Une fois approuvé par le président de la République et le chef du gouvernement, le plan entrera en vigueur à partir de la semaine prochaine». Du côté des experts, on propose d'autres solutions à caractère sécuritaire et de renseignements. Badra Gaaloul, présidente du Centre international des études stratégiques, militaires et sécuritaires, parle «d'une alliance interrégionale groupant la Tunisie, l'Algérie, le Maroc, la Libye et l'Egypte et la création d'un appareil commun de renseignement militaire entre ces cinq pays». «Au sein du centre, nous avons déjà soumis nos propositions aux autorités concernées (présidence de la République et du gouvernement et ministères concernés). Nos recommandations sont issues d'une conférence tenue le 25 décembre 2015 sur la prolifération des organisations terroristes en Afrique du Nord et nous envisageons l'organisation le 25 février d'un séminaire interrégional sur le thème : «Les défis sécuritaires dans la région nord-africaine». Nous considérons qu'avec l'intervention militaire occidentale pour soi-disant éradiquer les daechistes installés en Libye, la sécurité de l'ensemble de la région est en danger. Et c'est pourquoi nous considérons que la Tunisie peut constituer le premier jalon dans la création d'une ceinture sécuritaire interrégionale». Elle poursuit son analyse : «Les événements que vient de vivre notre pays ces dernières semaines, plus particulièrement les actes de violence et de pillage à Sidi Bouzid, à Kasserine et dans les quartiers populaires de la capitale, sont bien programmés pour que la Tunisie tombe dans l'anarchie, dans une première étape, pour ensuite attaquer l'Algérie et y faire régner le chaos, dans une seconde étape». «Je me pose la question suivante : si l'objectif réel de la coalition occidentale est d'éradiquer les terroristes daechistes du sol libyen, pourquoi les services de renseignements occidentaux actifs en Libye ont-ils fermé les yeux sur l'installation sur le sol libyen de ces milliers de terroristes qui ont fui la Syrie et l'Irak sous le coup des frappes militaires menées par la Russie», fait-elle remarquer. Elle conclut : «Il existe une nouvelle donnée : le conteneur bourré d'armes saisi à Nabeul a été introduit chez nous par les soins d'un service de renseignements étrangers. Et quand on sait que les terroristes entretiennent des relations étroites avec les services de renseignements, on a le droit de nous interroger sur la concomitance de cette opération avec l'imminence de l'intervention militaire en Libye. En plus clair, qui nous garantit que la Tunisie ne subira pas d'opérations terroristes au moment même où les avions occidentaux bombardent la Libye ?».