Dans l'attente du déclenchement officiel des frappes de l'Otan en Libye, les Tunisiens travaillant dans ce pays subissent des humiliations et des exactions de la part de certaines parties libyennes les accusant de tous les torts. Depuis que les Occidentaux, principalement les Américains, les Français et les Italiens, ont décidé d'en finir avec les daechistes installés en Libye (ils attendent pour le moment l'aval du nouveau gouvernement libyen pour déclencher officiellement leur intervention militaire), il ne se passe plus un jour, en Tunisie, sans que la mobilisation gouvernementale et citoyenne en vue d'épargner, au maximum, aux Tunisiens les retombées désastreuses de cette guerre n'enregistre une nouveauté quelconque. Les autorités officielles, en premier lieu le ministre de la Défense, multiplient les visites sur le terrain, dans les régions frontalières, pour s'assurer de l'exécution des mesures prises dans l'objectif de faciliter l'accueil des milliers de réfugiés qui gagneraient le sol tunisien quand les bombes américaines, françaises et italiennes pleuvront quotidiennement sur les camps daechistes (comme l'annoncent les forces de la coalition) et obligeront les civils à fuir leur pays. Dans cet ordre d'idées, on nous rassure régulièrement «de la promptitude des forces armées tunisiennes positionnées sur les frontières avec la Libye» et on nous informe qu'«un système global de défense a été mis en place et qu'il sera consolidé prochainement par un système de surveillance électronique avec une assistance américaine et allemande». Pas plus tard que vendredi 26 février, Farhat Horchani, ministre de la Défense, accompagné de Slim Chaker, ministre des Finances, s'est rendu au poste frontalier de Ras Jedir pour s'assurer que les dispositions relatives au passage des voyageurs et des marchandises sont exécutées comme prévu. Par la même occasion, il a réaffirmé que «la Tunisie est toujours opposée à toute intervention militaire en Libye. Toutefois, elle n'est pas pour des frappes contre les fiefs terroristes sur le sol libyen». Cette nouvelle déclaration s'inscrit bel et bien dans le droit fil de l'approche que s'est fait le gouvernement tunisien de la guerre prévue en Libye. Déjà, le président de la République a répété, à plusieurs reprises, lors de la série des interviews accordées récemment à des médias tunisiens et étrangers : «La Tunisie se considère comme concernée par la guerre menée contre les terroristes installés en Libye puisqu'elle est elle-même en guerre déclarée contre le terrorisme dont les apôtres se terrent précisément en Libye. Sauf qu'elle doit être informée des frappes qui seront lancées contre les daechistes qui se cachent en Libye. Notre pays ne participera pas à la guerre mais il n'est pas disposé à en subir les conséquences, ni sur le plan sécuritaire ni sur celui humanitaire». Pour être plus clair, la Tunisie de 2016 n'a pas les moyens économiques de revivre l'expérience de 2011 quand elle s'est trouvée obligée d'ouvrir ses frontières pour abriter près de deux millions de réfugiés, de toutes nationalités, fuyant les frappes de l'Otan contre les soldats de Mouamar Khadhafi. Non au fait accompli Sur le plan politique, la Tunisie continue encore à croire à une solution pacifique et déploie ses derniers efforts dans ce sens en se proposant d'organiser, selon les déclaration de Khemaies Jhinaoui, ministre des Affaires étrangères, d'accueillir, fin mars prochain, une réunion de concertation à laquelle participeront les pays du voisinage libyen : l'Algérie, le Maroc, la Mauritanie, l'Egypte, le Tchad et le Niger. L'objectif déclaré de cette rencontre est de faire en sorte que ces pays directement concernés par la guerre antidaechiste en Libye soient consultés et informés par la coalition occidentale et surtout assurés qu'ils ne payeront pas le coût de cette intervention que personne n'est, pour le moment, capable d'évaluer. Reste une grande inconnue : qu'est-ce que la Tunisie a programmé en vue de préserver la sécurité des Tunisiens installés en Libye et qui commencent déjà à subir les exactions et les représailles commises par certaines parties libyennes connues pour leur hostilité à la Tunisie et qui considèrent, à tort, nos travailleurs exerçant en Libye (on parle d'au moins 150 mille Tunisiens vivant régulièrement sur le sol libyen) comme les responsables de leur malheur ? Autrement dit, ces mêmes Tunisiens sont-ils condamnés à connaître le même sort réservé par Kadhafi et ses milices en 1976 et en 1984 quand ses relations se sont détériorées avec le gouvernement tunisien, dirigé à l'époque respectivement par Hédi Nouira et Mohamed Mzali. A lire attentivement les déclarations des différents responsables tunisiens et à analyser aussi les approches-conseils développées à longueur de journée par les experts, on se rend compte que nos travailleurs en Libye, dont la plupart sont obligés d'y exercer et ne pouvaient pas obéir aux appels du gouvernement leur demandant de regagner la Tunisie, sont livrés à eux-mêmes, obligés de se débrouiller tout seuls pour s'extirper du piège dans lequel ils se sont retrouvés contre leur propre gré. Et l'on se pose la question suivante : en Tunisie, sommes-nous condamnés à rester à la merci et au bon vouloir des autorités libyennes dominant les régions où la grande majorité de nos concitoyens travaillent et résident ? Du côté du ministère des Affaires étrangères, on garde un silence assourdissant traduisant la perplexité dans laquelle s'est engouffrée notre diplomatie qui n'est pas parvenue jusqu'ici à dépasser les erreurs et les errements d'un passé très récent et qui ne convainc plus personne avec cette thèse révolue : «En Libye, il n'existe pas de partenaire crédible avec qui nous pouvons traiter». Quant aux experts qui nous donnent l'impression, en investissant les plateaux TV, qu'ils savent tout et qu'ils sont plus informés que les meilleurs services de renseignements s'activant dans la région, ils se contentent de critiquer les positions prises par le gouvernement et de semer le doute sur le sérieux de la stratégie multidimensionnelle mise au point par ce même gouvernement, sans proposer d'alternatives crédibles ou de solutions réalistes et surtout réalisables à même de faire éviter aux Tunisiens de Libye les humiliations et brimades résultant d'une guerre avec laquelle ils n'ont aucun rapport. Plus encore, ces travailleurs, qui ont contribué et continuent à construire la Libye, payent aujourd'hui, dans l'indifférence générale, le prix exorbitant de la soi-disant fraternité tuniso-libyenne. Pour Badra Gaaloul, présidente du Centre international des études militaires, stratégiques et sécuritaires, il n'existe pas beaucoup de solutions pour le gouvernement tunisien. «Je pense que la diplomatie tunisienne se doit d'ouvrir des canaux de communication avec les autorités libyennes en place à Tripoli ou à Tobrouk, de recourir aussi à la pratique diplomatique traditionnelle, celle de confier la représentation des intérêts à une mission diplomatique amie comme l'Algérie et de réinviter la colonie tunisienne à quitter la Libye le plus rapidement possible, tout en faisant assumer leurs responsabilités à ceux qui choisiraient d'y rester», souligne-t-elle. A.DERMECH