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Industrie du textile-habillement | Ghazi El Biche, membre du bureau exécutif de la FTTH et CEO de Van Laack Tunisie à La Presse : "Le potentiel humain est le trésor caché du secteur"
Publié dans La Presse de Tunisie le 18 - 05 - 2022

L'industrie textile tunisienne est un secteur qui fait exception. Ayant connu ses heures de gloire après la parution de la "loi 72", l'industrie textile-habillement a su garder le cap, dans un contexte fortement concurrentiel. Aujourd'hui, les défis sont multiples. Les opportunités, également. Les industriels comptent énormément sur le plan de relance pour assurer un saut de compétitivité, leur permettant de déverrouiller de nouvelles parts de marché. Premier employeur industriel et important pourvoyeur de devises, le secteur a fait montre de résilience face à la crise Covid. "Cette faculté de résilience est un signe d'un bon management", explique Ghazi El Biche. Dans cet entretien, il met la lumière sur une industrie qui pèse lourd dans l'économie nationale.
Depuis plusieurs années, le secteur du textile-habillement pâtit des obstacles au renforcement des chaînes de valeur. Quelles en sont les raisons ?
Tout d'abord, il faut rappeler que l'industrie textile demeure parmi les secteurs prioritaires de l'économie tunisienne. C'est un grand pourvoyeur de devises et c'est un secteur qui demeure un important vecteur de création de richesse. Cependant, des obstacles à son développement subsistent, même s'il est parvenu, en dépit des difficultés, à maintenir le cap et à conserver son positionnement par rapport à ses concurrents sur le marché européen. Il faut rappeler que l'industrie tunisienne du textile détenait une part de 4% sur le marché européen, en termes d'habillement. Aujourd'hui, cette part est passée à 2,4%.
Le problème de la Tunisie (qui est aussi celui du Maroc) est, en premier lieu, un problème de développement de la compétitivité. Cela s'explique par la forte concurrence des industriels asiatiques qui s'accaparent 77% du marché européen. Ils sont favorisés par rapport aux industriels tunisiens en raison du faible coût de la matière première qu'ils fournissent. Et, malheureusement, l'Union européenne n'a pas voulu répondre à la demande de la Ftth de réviser les règles d'origine. Cela fait six ans qu'on milite pour cela et on a tout fait—on a même contacté le parlement européen— pour parvenir à une révision des règles d'origine, principal obstacle au développement de notre industrie. Pour mieux illustrer la situation, prenons l'exemple du Bangladesh. Les exportations des matières premières, sous forme de vêtements qui sont en provenance du Bangladesh à destination du marché européen, ne sont pas soumises au paiement des droits de douane. Pareil pour les Turcs, qui exportent la matière première qu'ils produisent (sous forme de vêtements) vers le marché européen sans payer ni taxes ni droits de douane. Par contre, un Tunisien qui importe de la matière première provenant du Bangladesh pour fabriquer des vêtements se voit payer des taxes et des droits de douane qui s'élèvent à 12% et qui sont imposés sur la-matière première, et sur le travail à façon. C'est pour cette raison là qu'on est moins compétitif par rapport à ces pays.
L'Europe est injuste. Elle essaie de pousser les Maghrébins à acheter uniquement une matière euro-med. Cela est en faveur de sa propre industrie textile. La matière première est la pierre d'achoppement à laquelle se heurte l'industrie tunisienne du textile. Et c'est le cas aussi pour l'industrie du jean, puisque 80% de la matière première utilisée dans la fabrication du jean, destiné à l'export, est importée. En 2016, la Ftth a élaboré un pacte sectoriel de compétitivité (et on était les premiers à le faire), sans que les autorités y donnent, malheureusement, suite. Pourtant on est parti du bon pied avec l'ancien chef du gouvernement, Youssef Chahed, mais dès que les gouvernements changent tout s'arrête. Mais, nous, en tant qu' industriels professionnels, on a demandé de lancer des investissements pour permettre aux sociétés exportatrices tunisiennes de s'approvisionner localement. Cela va augmenter notre compétitivité et nous permettre de lever un des plus grands freins qui empêchent le développement de notre industrie.
La crise Covid a-t-elle constitué une malédiction ou une opportunité pour le secteur ?
Pour certains industriels, la crise Covid a été une opportunité de réaliser des gains. D'ailleurs, pendant les années Covid, le secteur textile tunisien a vu son chiffre d'affaires augmenter de 14%, même si certaines entreprises affirment avoir accusé un recul de 20% à 60% de leurs chiffres d'affaires. Mais d'une manière générale, la Covid a été une opportunité pour nous. Cette performance s'explique par le fait que 80% des unités de production du textile se sont converties à la fabrication d'équipements de protection individuelle (EPI) c'est-à-dire à la production des masques, des blouses, etc. Et les Tunisiens ont été classés 4e dans l'exportation des EPI.
Le secteur textile a, en effet, fait montre d'une grande capacité de résilience grâce à sa flexibilité et à la réactivité des patrons tunisiens. Lors de la crise Covid, le chiffre d'affaires de mon entreprise a été multiplié par 5! Pendant la crise Covid, j'ai fait tourner 60 entreprises à travers tout le pays. J'ai ramené plus de 12 millions de pièces à fabriquer. J'en ai saisi l'opportunité et beaucoup de mes collègues ont fait la même chose. D'un jour à l'autre, on s'est converti et on a changé de vocation. Cette faculté de résilience est un signe d'un bon management.
Qu'en est-il du plan d'action post-covid qui vise à assurer la relance du secteur ?
Un premier draft du plan de relance du secteur est désormais prêt. C'est une version révisée du plan qui a été signé avec le gouvernement Chahed. Il trace les perspectives de l'industrie textile à l'horizon 2026. Actuellement, il est en cours de discussion. Il s'agit d'un projet PPP très ambitieux, qui va résoudre les problèmes du secteur, notamment en matière d'intrants et qui ambitionne d'améliorer les perspectives d'intégration dans les chaînes de valeur. On compte beaucoup sur ce plan, il est très prometteur. Il s'articule autour de six axes, à savoir la gouvernance, l'intégration, la promotion, la formation, l'infrastructure et l'environnement des affaires. Parmi ses objectifs, je cite la création de 50 mille emplois à l'horizon 2026, le rehaussement des exportations de 3 milliards d'euros à 4 milliards d'euros avec une croissance annuelle de 5% à 6% au cours des deux premières années et de plus de 13% en 2025. Le reclassement de la Tunisie parmi les 5 premiers fournisseurs de l'UE, en point de mire, le plan de relance compte faire croître la part de marché des industriels tunisiens sur l'Union européenne de 2,5% à près de 4%. En matière d'intégration, les professionnels tablent sur un taux de 35% (contre 10% estimé en 2021). Et le taux de couverture du secteur devrait passer de 125% en 2021 à 145% en 2026.
C'est vraiment malheureux en Tunisie. La Ftth, par comparaison avec beaucoup d'autres, était très active. On a beaucoup travaillé sur la relance et l'amélioration de la compétitivité de cette industrie. C'est un secteur très prometteur, qui a su conserver sa performance et qui assure 40% des emplois dans l'industrie manufacturière. Dommage que le gouvernement tunisien ne le considère pas en tant que secteur prioritaire. Chose qu'on n'a pas comprise. Surtout qu'au cours des années post-révolution, il a perdu 40 mille postes d'emploi.
Aujourd'hui, la pénurie de main-d'œuvre est l'un des plus grands freins à son développement. C'est vrai que c'est paradoxal. L'industrie textile est prête à repêcher les jeunes qui sont en abandon scolaire, cependant, il n'y a pas de mécanismes dédiés à cet effet. Le gouvernement tunisien devrait mettre en place des mécanismes pour orienter les jeunes en abandon scolaire vers le secteur textile. Aujourd'hui, le ministère de l'Emploi n'est pas capable de nous donner des listes de ces jeunes-là. Nous proposons de les orienter vers des centres de formation ou bien vers un apprentissage par alternance, dispensé directement au sein des entreprises. Cette grande pénurie touche également le secteur automobile. Nous n'avons pas d'armes. Par exemple dans la région de Bizerte (ou même au Sahel), les industriels, pour pouvoir tourner, assurent le transport de leurs employés qui habitent à des rayons de 50 kilomètresb ! C'est aussi le cas de Leoni Mateur, et de Yazaki Bizerte. Est-ce normal ? C'est un paradoxe tunisien: D'un côté, il y a une augmentation du nombre des chômeurs, un PIB des plus faibles au monde parce qu'on ne crée pas de richesses, et de l'autre, les mécanismes d'export et de production sont freinés parce qu'il y a une pénurie de main-d'œuvre!
Suite au déclenchement de la crise Covid, une tendance de relocalisation des unités de production textile a fait son apparition. Elle s'est accentuée avec l'éclatement du conflit russo-ukrainien. Notre industrie TH saura-t-elle saisir les opportunités qui en découlent ?
Il est vrai qu'on a constaté un mouvement de relocalisation qui est en train de s'opérer et qui puise son origine dans l'augmentation exorbitante des coûts du transport. Mais si on parle de relocalisation dans la confection chaîne et trame, le problème de la matière première subsiste, car elle provient d'Asie. Et la relocalisation, dans ce cas, ne va pas enrayer le problème de la hausse du coût du transport. Par contre, pour les industries du tricotage (la maille), la relocation constitue une opportunité, parce que le sourcing sera direct et donc les coûts du transport seront pratiquement inexistants (par rapport à l'Asie). Aujourd'hui, le prix du conteneur transporté, depuis la Chine vers l'Europe a été multiplié par 10, allant de 2005 dollars à 22 mille. C'est devenu excessivement cher. Et dans ce cas, la relocalisation constitue une grande opportunité à saisir, mais notre industrie ne pourrait se développer et gagner en compétitivité qu'avec de la main-d'œuvre. Tant qu'il y a une pénurie, on ne peut pas parler de croissance.
De même, la guerre russo-ukrainienne a provoqué une baisse du chiffre d'affaires du secteur textile en Europe, parce que le comportement des consommateurs européens, devenus craintifs, a changé. Ils ne dépensent plus l'argent dans les vêtements. Heureusement que la relocalisation a fait qu'il y ait un équilibre, au profit de l'industrie tunisienne. C'est prometteur, à condition que nous arrivions à résoudre le problème de la main-d'œuvre et j'irais plus loin, et celui de la matière première. A titre d'exemple, depuis deux ans, j'essaie d'embaucher une centaine de personnes, je n'ai pu en recruter qu'une quinzaine. J'ai lancé des appels d'offres via des spots radios diffusés 7 fois par semaine sur une radio privée, en vain. C'est un grand problème. J'ai même refusé deux grands clients, (un Espagnol et un Italien) avec lesquels j'ai finalisé toute la démarche de validation. Lorsque j'ai démarré la production, je n'ai pas pu terminer jusqu'au bout parce que je n'ai pas pu accroître ma capacité de production actuelle. Et dire que j'emploie 800 personnes!
Etant parmi les industries les plus polluantes, l'industrie textile fait face à un défi environnemental majeur. Quelles sont les avancées qui auraient été réalisées par les industriels tunisiens en matière de conformité aux exigences environnementales ?
En Tunisie, on fait toujours cet amalgame. Nous ne sommes pas une industrie polluante. Dans l'industrie textile, il faut faire la différence entre la confection et le tissage. Donc, il y a l'industrie de l'habillement et l'industrie textile. En Tunisie, 85% des unités de production sont des entreprises d'industrie de l'habillement et 15% font partie de l'industrie textile. Pour le reste, il est vrai qu'il y a de la teinture, du lavage, etc. Eh oui c'est polluant et hydrovore. Mais le trend qui se confirme au cours de ces dernières années, c'est que le marché européen exige aujourd'hui une traçabilité au niveau de tous les intervenants. C'est pour cela que les industriels textile sont obligés de respecter les normes ISO. Sinon, on ne peut pas travailler et personne n'achètera nos produits si nous ne sommes pas certifiés, que ce soit sur le plan social ou environnemental. Il faut noter qu'il y a une norme de management environnemental 14.001 et une norme SA 8.000 qui concerne la responsabilité sociale. Si ces deux volets ne sont pas assurés, il n'y aura pas de collaboration avec les entreprises européennes. Il faut également rappeler que toutes les entreprises textile qui fabriquent des tissus en Tunisie sont labellisées Oeko tex. Par exemple, si j'achète du tissu fabriqué à Ksar Helal, j'exige le label Oeko tex. Sinon je ne peux pas utiliser cette matière dans mon vêtement, il ne sera pas vendu en Europe. Le consommateur européen est devenu très engagé pour le respect de l'environnement. Les brand cherchent la traçabilité (le lieu, le process de fabrication, etc). Bien sûr qu'il y a des cas particuliers qui se font très rares, mais ils ne peuvent pas travailler avec les Européens. Vous savez que parmi les 100 premiers exportateurs tunisiens, figurent les top 10 des fabricants du textile, dont une société tuniso-française de confection de jean, qui est classée 4e exportateur et qui détient des unités de lavage. En visitant ces unités, vous serez impressionné: l'eau traitée est tellement pure qu'on peut la boire. Les cycles de lavage sont fermés pour éviter l'utilisation excessive d'eau. C'est 100% vert.
LE Mot de la fin ?
Nous sommes très optimistes, la Tunisie a un grand avantage qu'il faut souligner, c'est la qualité de sa main-d'œuvre et sa jeunesse. Malheureusement, on ne le dit pas assez, (d'ailleurs, je surnomme mes employés, les Japonais). Nous avons une main-d'œuvre, si elle est bien encadrée, bien formée, elle est parmi les meilleures au monde. Le trésor caché de la Tunisie, c'est son potentiel humain, son vivier de jeunes, et la compétence dont ils sont dotés. C'est le trésor caché de cette industrie. Une industrie qui ne bénéficie de rien du tout, ni d'infrastructure, ni d'encouragement, ni de facilité, ni d'avantages, ni d'un code d'incitations, ni de financement et elle résiste tout de même. Si elle arrive à être 4e fournisseur de l'Europe en jean et 2e fournisseur de vêtement de travail, c'est grâce à la qualité de son potentiel humain.


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