On aimerait bien que le sélectionneur puisse se démarquer de l'esprit conformiste et oser tous les genres. Technique, physique, accélération. Une palette plus large pour dérouler un football multiforme... On peut cautionner, comme on peut désapprouver la méthode Kasperczak. Dans sa manière d'interpréter les choses et d'intéresser ses joueurs, dans ses différentes prises de position, bonnes ou mauvaises, il est le genre d'entraîneur qui laisse rarement indifférent. Il y a souvent une bonne matière à discussion concernant les choix, les options, les convictions et les tendances du sélectionneur. Disciple ou contestataire, on peut lui accorder le mérite d'avoir intégré dans le football tunisien la synthèse des acquis d'une carrière riche et soutenue. Mais, en même temps, on ne peut se retenir face à la métamorphose de l'entraîneur et de l'homme. Kasperczak n'est plus, en effet, le sélectionneur avec lequel la sélection tunisienne a connu aussi bien la joie que la déception. Mais ici et là, on n'avait jamais cessé de lui reconnaître cette aptitude à s'investir à fond dans tout ce qu'il entreprenait. Visiblement, la flamme du sélectionneur qu'il était dans le passé n'est plus aujourd'hui ravivée de la même manière et avec autant de passion. Le modèle Kasperczak avait dans un contexte bien particulier réussi à accréditer l'idée selon laquelle le rendement collectif est à la base de tout. En ce temps-là, la star, c'était l'équipe, personne et rien d'autre. Cela conditionnait de façon évidente le rendement des joueurs sur le terrain, la manière de procéder de l'équipe. Il n'avait pas manqué aussi de remettre la vocation de la plupart des joueurs au centre des débats. Il avait alors une part capitale dans les performances de la sélection, essentiellement lors de la phase finale de la CAN 1996 en Afrique du Sud. Mais il avait surtout remis un peu de grandeur à la sélection. Les défis ne s'arrêtaient pas pour autant. La Coupe du monde 98 en France et dans laquelle la Tunisie était qualifiée, n'était pas cependant abordée de la même manière. Kasperczak ne dominait plus le groupe. Pire: il était contesté par la plupart des joueurs, notamment les cadres de l'équipe. Résultat : une présence sur la pointe des pieds au Mondial et un limogeage en pleine compétition et avant terme. Tout ce qui a été valorisé auparavant n'avait plus de signification. Quelque part, on avait raison de lui faire confiance, et tort de cautionner ses actes. Mais dans l'ensemble, la responsabilité du fiasco au Mondial était finalement partagée entre les joueurs et leur entraîneur. Aujourd'hui, sa mission est bien différente. On ne sait pas s'il en est vraiment conscient, ou s'il tarde encore à le comprendre: ses options ne devraient pas servir à dénaturer le jeu de l'équipe, et encore plus le football tunisien. Les exigences et les contraintes d'autrefois ne ressemblent plus forcément à celles d'aujourd'hui. Il a désormais pour mission d'accompagner les joueurs dans leur épanouissement, de favoriser le registre dans lequel ils sont censés s'exprimer mieux et plus. Mais de façon particulière à combattre la passivité, à renforcer le sentiment d'appartenance non seulement à une équipe, mais aussi et surtout à une institution. Quand on part de tellement plus loin, on a plus de risques de trébucher. Sous la conduite de Kasperczak, la sélection est dans l'obligation de prouver, encore et encore. Même si, au fond, elle n'a pas toujours laissé entrevoir quelque chose de spécial, elle devrait continuer à relever les défis. A les vivre pleinement et sans la moindre réticence. Manque de profondeur et de réflexion Il faut dire que ces derniers temps, la sélection évolue sur fond d'apparences. Elle manque de profondeur et de réflexion dans son jeu et dans le comportement de ses joueurs. Il n'est pas difficile de déduire qu'elle s'est taillé une réputation d'équipe instable, qui n'a pas encore les possibilités et les aptitudes d'aspirer aux grands exploits. Cela pourrait être frustrant pour des joueurs qui veulent se construire des noms, sans avoir connu les consécrations. On a beau penser que ce sont des fois les échecs et les absences qui forgent un caractère, une personnalité, jusque-là, on n'a rien vu, ou presque chez l'équipe de Tunisie. Nous espérons que le sélectionneur n'oublie pas que la sélection aurait besoin aujourd'hui d'autres choses à connaître, à vivre et à valoriser que celles qui semblent de plus en plus l'inspirer dans ses réflexions et dans ses prises de position. De nouvelles expériences, des défis d'un autre genre, de nouvelles ambiances sont aujourd'hui rêvés par la plupart des joueurs. On aimerait que les expatriés en ressentent aussi l'envie. Car jusque-là et d'après les dernières expériences, on n'a rien vu de rassurant et encore moins ce qui fait honneur au maillot. On aimerait aussi que l'équipe réussisse la transition qui pourrait lui permettre de se démarquer de l'esprit conformiste et d'oser tous les genres. Technique, physique, accélérations. Une palette plus large pour dérouler un football multiforme, à géométrie variable. Pourquoi pas aussi brouiller les distinctions entre ce qui est demandé et ce qui est permis. Il s'agit, au sens le plus actuel, d'une conception «transgenre» destinée à éviter les «si j'avais su» , «si c'était à refaire», «les deuxièmes chances qu'on ne laisserait pas passer». Elle doit savoir qu'on ne revient jamais en arrière...