Deux films construits sur l'éloquence des images et des paroles, et ce qu'elles révèlent sur la nouvelle réalité des villes arabes. Entre autres films programmés à la semaine AFAC du cinéma arabe indépendant, figurent le court-métrage égyptien «And on a different note» et le documentaire syrien «Monumentum». Les deux films ont été projetés jeudi soir au Rio. Avant le lancement de la projection, une représentante d'Afac (Fonds arabe pour l'art et la culture) a expliqué que la manifestation —itinérante, après Beyrouth et Le Caire, elle s'invite à Tunis— rassemble des films soutenus par le fonds, et qui n'ont pas eu assez d'occasions pour être montrés au grand public. Mohammad Shawky Hassan, auteur du court-métrage de 24 minutes «And on a different note» (sur un autre niveau), a décidé de filmer sa vie personnelle, familiale et publique d'un angle particulier. «Rien ne se passe... On se parle mais sans plaisir. Nous nous consolons avec des images qui jaillissent sous nos yeux sur le petit écran. On écoute les nouvelles à travers une voix qui paraît avoir perdu son adhérence», décrit-il dans le synopsis. Dans le film, il exprime cette idée d'isolement, où les humains sont comme des petits îlots entourés d'une mer d'informations et de paroles, à travers un parallèle entre image et son. Ce dispositif se base sur des images qui composent le champ et montrent un quotidien où les espaces, intérieurs et extérieurs, semblent déserts et habités par la routine, alors que le hors-champ est meublé par une voix off composée d'extraits sonores d'émissions de radio et de télévision. Le brouhaha part dans tous les sens idéologiques possibles que la révolution en Egypte a pu révéler. Les décibels de la joie et de l'émotion qui ont suivi ce grand événement a vite laissé place au désenchantement et à l'isolement. Les gens se sont recroquevillés sur eux-mêmes et l'espace public est occupé par des médias qui accaparent la parole et parlent au nom des Egyptiens. «Les statues meurent aussi» ? «And on a different note» annonce le documentaire qui l'a suivi. «Monumentum» du Libanais Fadi Yeni Turk est fait d'images commentées par l'auteur lui-même en voix off. Le texte qu'il récite est le fruit de ses questionnements sur le rôle des statues érigées dans les places publiques des villes arabes, dans l'écriture de l'histoire. Le réalisateur commence par son pays, le Liban, au contexte complexe et multiconfessionnal, où les statues permettent la démarcation des territoires. La commande, la fabrication, le placement et le déplacement de ces statues sont suivis par la caméra de Fadi Yeni Turk qui donne, à travers ses commentaires, un sens, son propre sens à ce qu'il voit. Celui qui est au pouvoir efface les traces de ceux qui l'ont précédé et c'est le gagnant qui écrit l'histoire à sa guise : deux principaux enseignements que les statues ont murmuré au réalisateur, en plus du fait que l'espace commun, supposé public, devient l'outil de manipulation et de jeux de pouvoirs politiques. De par son métier de photo-reporter, ses voyages l'ont mené sur les plus grandes comme les plus petites places des villes arabes, où il a couvert des événements majeurs. Du Liban, il passe en Irak où les monuments et les statues prennent une autre dimension, au sens propre comme au sens figuré. Il nous apprend que ce pays ne déroge pas à la règle et que la statue de Saddam Hussein, que le monde entier a vu délogée lors de l'invasion américaine en Irak en 2003, a été transformée en des statues célébrant cet événement et rendant hommage aux soldats américains qui ont périt dans cette guerre. Des images-chocs dans certains cas, inertes dans l'autre et auxquelles Fadi Yeni Turk donne une valeur historique et inédite. Aucun travail de ce genre n'a été fait au cinéma, comme il l'a expliqué pendant le débat, à part, dans un autre registre « Les statues meurent aussi » de Chris Marker et Alain Resnais (1953). La Tunisie fait d'ailleurs partie des villes filmées dans Monumentum, où le réalisateur s'attarde sur l'histoire des statues depuis la colonisation française (où une grande statue du Cardinal Lavigerie dominait Bab Bhar) à l'indépendance, où les symboles du protectorat, comme les statues de Jules Ferry, ont été remplacées par celles de Habib Bourguiba, jusqu'au règne de Ben Ali où celles-ci ont été enlevées et remplacées par des monuments comme l'horloge du 7-Novembre, et puis l'avènement du 14 janvier 2011 qui a encore changé les choses. Un film qui porte à contemplation, surtout avec le retour de la statue de Habib Bourguiba sur l'Avenue à Tunis, et qui incite à réfléchir ensemble sur l'espace public et sa symbolique.