Du sublime au ridicule, il n'y a qu'un pas. On ne le sait que trop. Dès qu'ils se trouvent en présence de journalistes, certains politiciens, ou supposés comme tels, se croient tout permis. Quitte à piquer tête en avant dans l'affabulation pure et simple Ces derniers jours, les déclarations de MM. Hamadi Jebali et Moncef Marzouki, ex-chef du gouvernement et ex-président de la République, ont défrayé la chronique. Le premier a prétendu que M. Kamel Jendoubi, actuel ministre et ex-président de l'Instance indépendante des élections (Isie), a collaboré avec le gouvernement israélien pour empêcher Ennahdha de remporter les élections pour l'Assemblée constituante d'octobre 2011. Le second a allégué qu'il avait sauvé le gouvernement de coalition chapeauté par Ennahdha d'un coup d'Etat au cours de l'été 2013. Dans les deux cas, c'est le camp des modernistes anti-Troïka qui est en cause. Passe encore pour les éternelles passes d'armes entre les ténors de la défunte Troïka, coalition islamo-conservatrice et ceux du camp moderniste. Mais là, on parle de collusion avec des parties étrangères, plus particulièrement Israël, et de tentative de coup d'Etat. Au demeurant, M. Hamadi Jebali a épinglé des dirigeants de son propre parti, Ennahdha, les accusant d'avoir ourdi contre son gouvernement des manifestations et une campagne de durcissement du régime (la tristement campagne dite Ikbiss). Dans les deux cas, les déclarations sont fantasques et abracadabrantes. L'histoire du coup d'Etat «est une pure invention», comme l'a reconnu dans un livre récent M. Aziz Krichen, ex-ministre conseiller de l'ex-président alors en exercice, Moncef Marzouki. Il y avait alors plutôt un soulèvement populaire contre le pouvoir de la Troïka, au lendemain immédiat de l'assassinat terroriste du député de gauche Mohamed Brahmi, le fameux i3tissam erra7il. L'armée s'en tenait à sa neutralité légendaire tandis que la police chargeait régulièrement les manifestants. Les propos de M. Hamadi Jebali, quant à eux, ont été rapidement désavoués par des dirigeants du parti Ennahdha, celui-là même dont il était alors le secrétaire général et dont il dirigeait le gouvernement de coalition. Lotfi Zitoun, proche collaborateur de Rached Ghannouchi, n'y est pas allé du dos de la cuillère contre Hamadi Jebali. Pour l'observateur averti, des questions essentielles se posent. En premier lieu, les deux ex-responsables au plus haut niveau de la Troïka alors gouvernante, refont parler d'eux à l'issue d'une période relativement longue d'hibernation. Ils font acte de présence alors qu'ils semblent seuls, voire esseulés. M. Hamadi Jebali était le grand absent du dernier congrès du parti Ennahdha. Il semble compter sur d'hypothétiques et bien douteux sondages d'opinion pour se maintenir en lice. M. Moncef Marzouki, quant à lui, veut revenir de loin et se repositionner sur l'échiquier alors même qu'il a fondé et dirige un nouveau parti (Irada) qui peine à percer. Les deux hommes ne font guère montre d'autocritique des deux gouvernements de la Troïka, qu'ils dirigeaient, et qui avaient fini dans un double naufrage sanglant. Le premier était tombé à l'issue de l'assassinat terroriste de Chokri Belaïd et le second au lendemain de l'assassinat de Mohamed Brahmi. Et les deux gouvernements de la Troïka avaient frayé avec les mouvances salafistes et pro-terroristes de compère à compagnon. Le président Moncef Marzouki et le gouvernement Hamadi Jebali avaient invité des mouvements terroristes syriens en grande pompe à Tunis. Les deux gouvernements de la Troïka avaient également invité des prédicateurs pro-terroristes de la haine dans nos murs, dans l'enceinte même du palais présidentiel de Carthage. Les ligues d'extrême-droite dites de protection de la révolution avaient sévi impunément, soutenues par les dirigeants de la Troïka. Et la liste des faits et méfaits est encore longue. Nier la réalité et privilégier la fiction sous forme de déclarations tonitruantes et à l'emporte-pièce semble le nouveau jeu favori de MM. Moncef Marzouki et Hamadi Jebali. Mais être quelque part faussaire de l'histoire immédiate et faux-monnayeur de la politique justifie-t-il quelque nouveau plan de carrière? Jusqu'ici, l'opinion ne s'en est guère offusquée outre mesure. Et pour cause. Ces déclarations semblent même être passées inaperçues. La communication politique a aussi ses avatars. Les faux profils l'apparentent à la mythologie de quatre sous.