Par Bady BEN NACEUR Regardez bien cette photographie, chers lecteurs. C'est un portait rarissime de Bourguiba que m'avait offert feu Si Aly Ben Salem, en 1998, alors que mon livre sur lui, «Aly Ben Salem - Mémoires d'époques», venait de paraître aux éditions l'Or du temps. C'est un portrait qui date d'août 1951, alors que le «Zaïm» venait d'avoir 48 ans. Ce cliché en noir et blanc, ainsi que d'autres en couleur, — des photographies des salons où le président Habib Bourguiba avait donné ses conférences de presse durant son séjour à Stockholm, cet été-là — sont l'œuvre d'un photographe de l'Alfon-post, un quotidien suédois très célèbre et qui avait été commandité par l'artiste peintre, Aly Ben Salem lui-même. Bourguiba, à son arrivée en Suède, avait été reçu, grâce à ce dernier, par une fanfare qui avait joué et chanté l'hymne national tunisien dans la langue de ce pays du septentrion. J'ai consigné, dans mon livre, ce voyage officiel «très réussi» ainsi que celui de Bibi Junior, lorsque le père l'avait envoyé chez Si Aly pour l'obtention de deux voix supplémentaires à l'ONU afin d'«arracher cette indépendance de la Tunisie». Outre la voix suédoise, Aly Ben Salem s'était démené pour obtenir le reste des voix des pays scandinaves : le Danemark, la Finlande, la Norvège et l'Islande. Cependant, l'artiste avait été dépité d'apprendre qu'au retour de Bourguiba en Tunisie, son frère, le Docteur Hamadi Ben Salem qui fut le 1er ministre de la Santé tunisien durant le gouvernement Chenik, avait été mis en prison, parce qu'il était le gendre de Lamine Bey ! Au dos de cette photographie, Aly Ben Salem a d'ailleurs laissé une empreinte stylographiée pleine d'amertume : «Qui a payé, écrit-il, toutes ces belles photographies publiées sur la presse scandinave ?» Ce cliché, d'ailleurs, en dit long sur la personnalité de Bourguiba. Jeune et fringant, le front hautain, la chevelure encore dense flottant au vent du septentrion, costume sombre d'un beau tweed, cravate à rayures assortie et puis cette poigne et ce nez d'aigle et ce regard porté vers l'avenir, cette volonté de puissance, cette résistance à toutes les épreuves qu'il a dû endurer... tout cela offert — avec quelle fierté ! Quelle sûreté ! — au peuple suédois accouru à son discours... en plein air. Aly Ben Salem avait rameuté les foules scandinaves avant lui, pour l'obtention des voix de l'Indépendance de la Tunisie. Les foules s'étonnaient alors que des «indigènes tunisiens (sic) puissent avoir des yeux bleus !» : Bourguiba comme Si Aly l'artiste-peintre hédoniste «aux couleurs provocantes» dans ces contrées qui manquent de lumière et de chaleur, comme sur les rives de la Méditerranée. Dans la «lecture» que je fais de ce portrait, chers lecteurs, je me dis que cet avocat, ce nationaliste, ce politique, ce laïc même, aurait pu, dans une autre destinée sans machiavélisme, devenir un artiste comme le fut son frère sur la scène théâtrale tunisienne ou, mieux encore, au cinéma. Mais le grand cinéma amerlo en noir et blanc, à l'image d'un Clark Gable ou d'un Gary Cooper. Mais, alors, dans le domaine politique pourquoi a-t-il failli à sa mission, sur le tard ? Pourquoi être resté au pouvoir en «président à vie» et se faire malmener par son entourage avide de pouvoir jusqu'à ce qu'une nouvelle dictature nous soit tombée comme une chape de plomb sur la tête, durant encore vingt-trois ans ? A cet âge, à 48 ans, il ne croyait pas — ou ne le pouvait pas — en la totale «démocratisation» ? Il avait établi, avec son parti unique, la politique «des étapes» (El Marahal). Cela n'a mené à rien. Et, que de temps perdu jusqu'à cette inespérée révolution du 14 janvier 2011 où nous sommes certes, entrés de plain-pied dans cette ère démocrate, mais où nous avons des régions deshéritées, beaucoup, beaucoup de jeunes diplômés sans emploi et les poches vides, en attendant la grâce de Dieu ! En ce jour solennel du 1er juin 2016 — soixante ans déjà ! —, saluons donc le retour, sur la grande avenue Habib Bourguiba, de sa statue équestre et faisons en sorte de ne jamais oublier ce grand homme d'Etat digne et intègre, et grâce auquel, aussi, la Tunisie a fini par se libérer de toutes les entraves idéologiques politiques, et religieuses qui ont toujours empêché son émancipation. (*) La reproduction de ce portrait est strictement interdite.