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Aly Ben Salem (1910-2001) : Le pionnier de l'Ecole de la Tunisie (I)
La Presse Lettres, Arts et Pensée : Arts - Bâtisseurs de l'imaginaire
Publié dans La Presse de Tunisie le 05 - 11 - 2010

Aly Ben Salem fut, incontestablement, l'un des pionniers de la peinture en Tunisie. Il se réclamait lui-même, d'ailleurs, comme étant «le fondateur de l'Ecole de la Tunisie» par opposition — et vieilles querelles — à ceux qui se réclamaient plutôt de «l'Ecole de Tunis». De par sa vocation première de peintre illustrateur du patrimoine tunisien à Dar El Monastiri (école des arts dits «indigènes»), il était déjà en avance sur son temps durant les années 30, passant ainsi de cet apprentissage bénéfique dans le domaine des recherches ethnographiques, à son propre univers pictural quand il s'installa en Suède. Un univers marqué par un certain goût de la quiétude et de l'hédonisme parfait. Ceci, sans oublier le digne patriote qu'il fut lorsqu'il eut à militer pour l'indépendance de la Tunisie à partir des pays scandinaves.
Le volet que voici, suivi d'un second, la semaine prochaine, sont la synthèse de notre intervention lors de la journée de commémoration du centième anniversaire de la naissance de l'artiste (1910-2010) à Beït Al-Hikma, le 4 octobre dernier. Cette commémoration initiée par le Président de la République lui-même sera couronnée par une exposition rétrospective de ses œuvres en décembre prochain à Tunis, plus des manifestations en tous genres sur la personnalité de Aly Ben Salem et son œuvre un peu partout en Tunisie.
Fêter nos artistes
Je voudrais, tout d'abord, revenir sur cette notion de commémoration qui est double à l'endroit de ce peintre pionnier, puisqu'il s'agit de rappeler non seulement le souvenir de sa naissance, le 24 décembre prochain, mais aussi le souvenir de son décès en février 2001. M.Azedine Beschaouch, qui avait préfacé mon livre «Aly Ben Salem - Mémoires d'époques» paru aux éditions de l'Or du temps en 1998, ne disait-il pas : «(…) Rendez-vous avec Si Aly. La grande fête de son centenaire saura sans doute nous permettre d'en savoir plus sur les secrets de son art de jouvence perpétuelle». Et même s'il est parti à quelques années près de ce centenaire, pour moi comme pour beaucoup de ses amis, je pense que sa triple mission de peintre-pionnier, d'illustrateur du patrimoine tunisien et de patriote, aura été pleinement accomplie. C'est la raison pour laquelle je parlerai, ici, beaucoup plus de la personnalité de l'artiste que de son œuvre.
Dans ce même ordre d'idées, et à propos de la mémoire de plus d'une trentaine d'artistes autochtones disparus depuis — des contemporains de Si Aly jusqu'à ceux de la seconde, troisième ou même quatrième génération — (vous voyez bien que l'histoire des arts graphiques et plastiques en Tunisie est toute récente), je souhaiterais que s'instaure une tradition. Celle de revisiter nos artistes et, de même, qu'avec la création de futurs musées d'art contemporain et moderne, il y ait une très grande visibilité de leurs œuvres, non seulement à Tunis, mais aussi dans tous les autres gouvernorats, à titre posthume, ou encore mieux de leur vivant.
Du merveilleux tunisien au merveilleux suédois
Pour terminer ce petit préambule, je voudrais enfin faire part à l'endroit de l'honorable professeur, monsieur Abdelwahab Bouhdiba, du petit événement personnel qui m'est arrivé chez moi, le jour où je reçus sa lettre d'invitation à cette journée du 4 octobre. Voici comment les choses se sont curieusement passées : «J'étais en train, ce jour du 13 juin dernier, de me préparer à une sieste farniente et je feuilletais l'ouvrage de Selma Lagerlöf, le conte que vous savez : «Le merveilleux voyage de Nills Holgersson, à travers la Suède». Il s'agissait d'un exemplaire un peu poussiéreux que j'avais retrouvé dans l'un de mes cartons et que m'avait offert, il y a bien longtemps, feu Aly Ben Salem. Il porte la dédicace suivante :
«Pour vous, cher Bady Ben Naceur, ce conte de fées afin que vous puissiez mieux comprendre l'atmosphère lyrique de la Suède et qui, mêlée à celle de notre chère patrie, la Tunisie, a inspiré toute ma peinture. Aly Ben Salem».
Cette dédicace à laquelle je n'avais jamais porté aucune attention, ni au sujet du conte lui-même et dont humblement je n'avais lu que quelques paragraphes à l'école, dans «Histoires des bêtes» (librairie Armand Collin), un programme de lecture destiné au cours élémentaire, tout ceci me poussa alors à revisiter l'œuvre imaginative de Selma Lagerlöf. Je le lus d'une seule traite, jusque tard dans la nuit. Le lendemain, je m'attachai à retrouver les phrases clés, de l'introduction de Lucien Maury aux passages de la conteuse elle-même, je citerai certains petits extraits que voici: «L'école suédoise, si stricte, si méthodique, et qui depuis longtemps ne laisse subsister en Suède aucun illettré, ouvre toute grande sa porte à la poésie (…) Ne craignez pas le surnaturel et les brillantes chimères, apprenez de Selma Lagerlöf (…) que nous sommes en Suède, pays des longs frimas, des brusques printemps et des douces nuits d'été, pays étrangement poétique, tout bruissant de délirantes mélodies et de légendes mélancoliques ou gaies, et de poèmes et de chansons». Et ce final du conte lui-même à propos du Tomte qui se retrouve dans sa condition humaine normale à la fin du conte: «Nils sentit un tel élan de regret qu'il eut presque souhaité redevenir le Poucet qui pouvait voyager, au-dessus de la terre et de la mer, avec une bande d'oies sauvages».
Dans l'ouvrage que j'avais consacré à l'artiste en 1998, soit trois ans avant son décès, je retrouve un cliché choisi par notre ami Abderrahman Ayoub, l'éditeur, et auquel je n'avais pas fait attention aussi. Un portrait en noir et blanc de l'artiste en hiver, dans un parc à Stockholm. Il est accroupi, sur le talus, devant, un couple d'oies qui semblent l'inviter au voyage. Comme s'il s'agissait de Nils lui-même ! C'est à ce moment-là que je me mis à comprendre combien cette dédicace avait été importante pour lui et combien, dans l'imaginaire du peintre, le merveilleux tunisien et le merveilleux suédois se conjuguaient ainsi parfaitement.
Un binational en avance sur son temps
Un merveilleux suédois cultivé durant un demi-siècle à travers sa peinture et que malgré ce vingtième siècle «à la suédoise», la sensibilité poétique et le regard ethnologue de ce Tunisien, fier de son «arabité», «soient restés profondément méditerranéens». Durant ces cinquante ans, les départs de Ben Salem vers Stockholm, de Sidi Bou Saïd et puis de Hammamet à partir des années soixante-dix, se situaient peu avant la fin de l'année. Il y avait non seulement Noël, grand moment de chaleureuses retrouvailles et de convivialité, mais, aussi, la date anniversaire de sa naissance‑: le 24 décembre. Ce qui, l'un dans l'autre, faisait de ce jeune «indigène», à la peau claire et aux yeux bleus, un binational en avance sur son temps et dont cela était un réel appel vers cette seconde patrie qui lui aura donné cette «sève entière» indispensable pour se parfaire en tant qu'artiste et en tant qu'humain. «Voici ce que je crois que je suis», disait-il alors lors de ces entretiens au sujet du livre. «Je suis profondément méditerranéen. J'aime vivre à l'extérieur des murs, tout en cultivant jalousement mon jardin intérieur.
L'intimité est sacrée, n'est-ce pas?!» (4). Mais dans cette nouvelle patrie, il avait progressivement découvert, comme une grande adhésion du milieu politique suédois, aux peuples soumis et aux peuples arabes. Il s'était mis alors à préconiser l'idée d'un nouveau regard et d'un nouveau départ vers cette Tunisie occupée. Cette Tunisie qui avait été traversée par des artistes et des intellectuels célèbres et dont plusieurs d'entre eux devaient leur notoriété à Tunis ou à Sidi Bou Saïd. Et toutes ces «saisons» d'un demi-siècle débordé, Aly Ben Salem les aura vécues tantôt dans la douleur, tantôt dans la sérénité mais fier, très fier de son «arabité» d'artiste qui était aussi une adhésion sans faille aux aspirations des peuples arabes à se libérer de toute forme d'hégémonie. Et, concernant le peuple tunisien, contre la réalité brutale dans laquelle il se trouvait durant cette période de l'entre-deux guerres et même après. Une tranche de ses mémoirers sur laquelle je reviendrai, après avoir parlé de l'artiste et de l'artisan qu'il fut des Beaux Arts de Tunis à l'Office des arts indigènes à Dar El Monastiri que dirigeait Jacques Revault.
Le baptême de l'art, à Tunis
Mais je dois à la vérité de dire, qu'autrefois, lorsque je découvrais l'œuvre picturale d'Aly Ben Salem, au début des années soixante-dix, je n'étais pas du tout porté vers ces images d'une quiétude et d'un hédonisme qui contrastaient avec notre époque. En effet, durant toutes ces années qui suivirent, Tunis fut secouée par des remous. Remous socio-économiques et politiques‑: grèves généralisées «janvier 78», le janvier noir, guerre du pain, intégrisme rampant… J'étais encore jeune et je revenais de France et ces scènes édéniques et ces vues médinesques, ces hammams, ces scènes typées que je voyais dans les rares galeries de la capitale m'indifféraient. Ce que Hatem El Mekki désigna alors de «folklorisme-darboukisme» dans un journal de la place.
A l'époque, ma grande séduction allait plutôt vers l'art informel tel que, étudiant, je l'avais vécu du côté de l'Ecole de Nice avec son regroupement urgent d'artistes tous issus des thèses du «nouveau réalisme» telles qu'élaborées par le théoricien Pierre Restany, Arman, César, Klein, Tinguely… et parallèlement, Picasso dont on fêtait le quatre-vingt-dixième anniversaire à Vallauris, Mirô à la Fondation Maïegt à Saint Paul de Vence, Chagall qui faisait ses vitraux à la Faculté de médecine dans la ville des Fleurs, Aragon et les poètes, ainsi que tous les soixante-huitards descendus vers le midi de la France en 69, Xenakis et Mikis Théodorakis accourus de Grèce, Jean Ferrat, Paco Ibanès et la bande à Ferré, des libertaires romantiques… tout ce beau monde, dont je ne mesurais pas vraiment l'importance ni la notoriété internationale, m'avait été d'un apport certain, une sorte de background essentiel à mon retour à Tunis.
S'exprimer d'une manière personnelle
Au début des années soicante-dix donc, je m'étais mis à fréquenter le Salon des Arts de Juliette Nahum, une grande dame qui a fait beaucoup pour l'épanoissement de la jeune et moins jeune peinture et qui est morte dans l'anonymat le plus total à Paris, vers la fin des années quatre-vingt. A Tunis, les espaces galeries ne se comptaient même pas sur les doigts d'une main et il y avait en réalité peu d'artistes qui retenaient mon attention. J'étais jeune, il est vrai, et l'influence de l'art occidental — trop grande influence, peut-être —, ne me prédisposait pas à saisir les élans naissants de l'art pictural en Tunisie.
Mais Juliette Nahum m'avait ouvert la voie en me faisant découvrir des artistes plus jeunes‑: ceux du groupe des six «Néjib Belkhodja, Lotfi Larnaout, Nja Mahdaoui…, Ridha Bettaïeb, Mahmoud Sehili, le groupe soixante-dix, le groupe des cinq, puis, plus tard, El Teatro, l'espace Chiyem… Et c'est ainsi d'ailleurs, que j'avais commencé à avancer à petits pas dans mes écrits au quotidien «La Presse de Tunisie».
Avec le recul, bien des années plus tard, j'ai pourtant regretté d'avoir écrit sur tous ces talents d'artistes (précurseurs et novateurs) avec une certaine myopie, parfois.
Pourquoi ? Parce qu'en approfondissant mes connaissances (le milieu des artistes, leur sensibilité individuelle, l'apprentissage nouveau de l'art pictural en Tunisie, les notions de spécificité et de richesse de notre patrimoine, la manière de se les approprier…), je m'étais aperçu qu'il n'y avait rien à comparer avec ce que j'avais vécu auprès des adeptes des chapelles de l'art occidental et, donc, que j'étais loin de toute objectivité. Objectivité concernant mes analyses qui bousculaient et dérangeaient parfois au nom d'une certaine ouverture, d'un progrès, d'une modernité encore indéfinissable… Même si, au bout du compte, les écrits sur l'art sont du domaine de la plus pure des subjectivités, comme vous le savez.
C'est ainsi, d'ailleurs, que j'appris graduellement que la réussite ou plutôt la pérennité de l'œuvre (c'est singulier), de grande œuvre de l'artiste n'est vraiment importante que, lorsque les éléments fondateurs qui y ont concouru : héritage, influences, expériences, désirs renouvelés, correspondent à ceux de sa génération.
Tous ces artistes que j'ai connus auront cherché, certains s'éloignant parfois, d'autres non, de cette notion d'«interdit figuratif», à s'exprimer d'une manière très personnelle mais de façon pudique, en tenant compte de leur génération, de leur époque et de l'ensemble politique, religieux et économique avec lequel ils avaient à composer et conjuguer pour vivre de leur art.
Aly Ben Salem a-t-il échappé à une telle démarche ou, plutôt, à un tel compromis ? Je me pose encore la question.
Le graphisme du peintre
C'est donc au milieu des années quatre-vingt que j'ai été intéressé par le graphisme de l'artiste. Graphisme qu'il avait lui-même acquis, à travers les recherches ethnographiques, en compagnie de Jacques Revault. Ses prodigieuses recherches sur les arts indigènes, je n'en ai mesuré l'importance que lorsque je me mis à le fréquenter chez lui, à Hammamet. Un véritable havre de paix face à la mer et qu'il avait conçu à l'image de la maison Sébastian avec son architecture douce, ses colonnes basses, sa coupole, son déambulatoire, sa piscine au fond du jardin, ses paons et ses chats persans, tout cela comme un mouchoir blanc jeté au milieu d'un jardin exotique, et duquel les senteurs exotiques, à profusion, pénétraient dans tous les recoins de Dar Si Aly Ben Salem.
Il m'avait montré, en effet, outre les nombreux clichés de la fin de ces années 30, témoignages de cette période ethnographique (entre autres, la maquette du Pavillon de la Tunisie lors de l'exposition internationale de Paris en 1937, avec l'architecte Audineau), «l'Atlas historique géographique, économique et touristique de la Tunisie» édité pour l'occasion. Un véritable lieu de mémoire entièrement illustré par l'artiste. Ces illustrations des scènes de la vie quotidienne en Tunisie et des divers métiers de l'artisanat avaient été l'objet d'expositions dont on ne retrouve pratiquement plus les traces, hormis quelques rares œuvres éparses, ici et là, en Tunisie ou à l'étranger.
Azedine Beschaouch, qui acquit un Atlas d'une façon fortuite sur les quais de la Seine en 1958, déclare à propos de ces illustrations : «J'y ai trouvé ce qui se célèbre dans l'œuvre richissime de Si Aly‑: la sensibilité poétique et un regard d'ethnologue ; un amour sans bornes de la beauté et l'heureuse probité ethnographiques».
Causeries sur l'art
Nos causeries sur l'art se faisaient chez lui, parfois en présence de feu le Dr Hammadi Ben Salem, son frère cadet. C'est là que j'ai commencé à mieux connaître le dessin du peintre, à le voir autrement qu'avec les préjugés de certaines gens de mon milieu qui m'avaient aussi fourvoyé au sujet de son travail. C'est ce que, dans l'ouvrage que je lui ai consacré, j'ai appelé «l'écriture du peintre», écriture entièrement consacrée à l'aspect visuel, intime et sensible des corps (féminin, masculin, et même androgyne) aspect qui rappelle autant les miniatures persanes dans leurs riches heures que celles des fixés sous verre et dont, Si Aly fut très inspiré.
Avec ses aplats et ses rapports de couleurs, parfois éclatantes, j'ai commencé à en comprendre la musique, la leçon chromatique et le climat spirituel dans lequel l'artiste s'était installé jusqu'à la fin de sa vie. Aujourd'hui encore, en regardant les gouaches d'Aly Ben Salem, j'y retrouve, mêlées, ces atmosphères scandinave et tunisienne où chantent invariablement les bleus plein de fraîcheur et les ocres chaleureux des ergs, et cet esprit oriental dans la manière de donner vie à ces personnages, des contes des mille et une nuits, princes et princesses, gazelles et dromadaires, colombes et pâquerettes… Un univers pictural qui transmet cette énergie amoureuse, ces caresses physiques, ces jets d'ivresse et de jouissance extatique.
Toute l'importance de l'œuvre se situant dans les liens sensibles qui rattachent l'artiste au monde, avec la même pureté et naïveté que celle de sa prime enfance.
Les voies ouvertes de la figuration
Aly Ben Salem aura trouvé dans la figuration des voies qui demeurent constamment ouvertes et en même temps secrètes à travers l'aspect intime et sensible, et cette force de renouvellement d'une œuvre à l'autre.
Je me mis donc à fréquenter assidûment l'artiste et, parallèlement, je militais pour un art nouveau avec d'autres compagnons de parcours de mon âge, une jeunesse effrénée qui naviguait entre les galeries Irtssem et Attaswir. Il s'agissait de collectifs pluridisciplinaires qui avaient réussi à fédérer les plasticiens d'Algérie et du Maroc — ceux de la Lettre et du signe — qui se détournaient de la figuration à l'occidental. La Révolution iranienne aidant (1979), s'y joignèrent des intellectuels de tout bord pour revendiquer un art maghrébin identitaire.
Aly Ben Salem ne voyait pas la chose d'un mauvais œil, puisqu'il s'agissait de faire progresser l'art à partir de nos sources communes. Bien au contraire, il m'avait dit, citant Brassens qu'il fallait «laisser la place aux jeunes» et que pour sa part, à l'âge de 65 ans (et moi 30), c'était une bonne revanche de l'histoire.
«Revanche, disait-il, contre le mimétisme de certains artistes autochtones qui, en plus, avaient accaparé le marché de l'art et occupé des postes-clés dans le domaine culturel». Même son de cloche chez Hatem Elmekki qui était très perméable aux nouvelles créations et manifestes de cette génération montante qu'il fréquenta d'ailleurs assidûment.
Pour ma part, je ne voyais aucune contradiction à assumer mon métier de chroniqueur artistique, en fréquentant les uns et les autres; les aînés et ceux de la jeune peinture.
Je fréquentais tous les artistes d'ateliers en galeries, de tables rondes en colloques. Cela me valut de fortifier, sans doute, ma vision sociologique dans le domaine de l'art et, ainsi, de ne point laisser se défaire ce petit chapelet d'«instants d'artistes» ce qui aurait (sinon), pour résultat, vraiment navrant, celui-là, de revenir à cette myopie que j'évoquais, lorsque de retour de Nice, je fus confronté, d'une manière brutale, au milieu artistique de la capitale.
(A suivre)


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