Si la grande exposition hommage à l'œuvre de Jellal Ben Abdallah n'est pas encore au programme, celle qu'il nous propose a pris de courts tous ses admirateurs. Elle a permis de découvrir le Jellal Ben Abdallah que l'on ne connaissait pas. On en a fait une légende. Le village sacré est si intimement lié à son œuvre qu'une part de cette vénération rejaillit sur lui. Jellal Ben Abdallah est le dernier des pionniers de la peinture tunisienne. Son affabilité, sa simplicité, le poids de son œuvre, l'univers poétique dans lequel il évolue, le mystère qu'il entretient peut-être involontairement autour de lui ont fait le reste : un mythe. Rendre hommage à un mythe n'est pas chose facile. Tout ce qui avait été fait jusqu'à présent était magnifique, certes, mais partiel et insuffisant. Et puis, il y avait eu le livre, superbe opus à la mesure et la démesure du personnage. On continuait d'espérer que le dernier des dinosaures, ces artistes hauts en couleur, souvent fort en gueule, raffinés et populaires, qui ont constitué la matrice même de l'art tunisien, l'Ecole de Tunis, allait nous offrir une exposition à la hauteur de ce que fut sa vie et son parcours. A quatre-vingt-quinze ans, c'était tout de même le moins qu'il puisse faire se disait-on, avec un désir réfréné de le pousser dans ses retranchements. On le retrouve là où on ne l'attendait pas. Et si la grande exposition hommage à l'œuvre de Jellal Ben Abdallah n'est pas encore au programme, celle qu'il nous propose a pris de cours tous ses admirateurs. Elle a permis de découvrir le Jellal Ben Abdallah que l'on ne connaissait pas : celui des fonds de tiroirs, des placards oubliés. Celui qui, éternel insatisfait, reprenait inlassablement esquisses et projets pour les abandonner en cours de route avant de les reprendre et de les modifier. Celui qui s'amusait à transformer une aquarelle en collage, à découper une partie d'une ébauche qui ne le satisfaisait pas, à passer à la feuille d'or un sujet qui lui semblait terne, ou à voiler d'une brume indéfinissable une scène reléguée. A Sidi Bou Saïd, bien sûr, cela semblait une évidence, Jellal Ben Abdallah expose cette semaine une centaine d'œuvres inédites : dessins, esquisses, ébauches, projets, maquettes. Tout ce qu'un artiste ne montre pas, et qui est le plus émouvant d'une œuvre car c'est ce qui permet de découvrir les faiblesses, les hésitations, les regrets, les ratés d'un artiste. C'est aussi ce qui permet de connaître les tentations, les choix, les engouements, les tâtonnements de l'homme. Et de passer en fait derrière un miroir sans tain en entrant «dans l'atelier de Jellal Ben Abdallah» comme nous y invite la galerie Ghaya qui l'accueille. On s'y promènera sur les traces de Jellal tout jeune, tenté par le cubisme, puisque le premier des dessins exposés remonte à 1936, pour aboutir à l'artiste toujours productif, puisque le dernier est daté 2016. On déchiffrera avec émotion ses cahiers d'écolier dans la marge des dissertations desquels il griffonnait portraits et paysages. On se perdra dans la délicatesse des minuscules miniatures, encadrées comme des objets de cabinets de curiosités, précieuses et raffinées. On décèlera les différentes tendances et influences subies par un peintre qui a évolué tout en restant toujours fidèle à lui-même. On se plaira à reconnaître les ébauches et maquettes de toiles abouties en d'autres temps, en d'autres lieux et dont on retrouve la mémoire. On mesurera enfin la chance que l'on a de voir ainsi réunis quatre-vingts ans de l'intimité d'un artiste, un «trésor vivant» comme on dit au Japon, en sa présence, et on souhaitera que Dieu lui prête vie et talent pour continuer à nous enchanter.