C'est, incontestablement, le livre de l'année : de par son propos d'abord, puisqu'il est consacré à l'œuvre colossale d'un monument de l'histoire passée et présente de la peinture tunisienne : Jellal Ben Abdallah. De par sa forme ensuite, superbe livre-objet de quelque six cents pages qui ne s'aborde qu'avec respect, disponibilité et attention. Jellal Ben Abdallah : sous l'artifice, la simplicité n'est pas un de ces beaux livres d'images que l'on appelle «tea-table book», destiné à décorer une table de salon et que l'on feuillette distraitement, mais d'un livre hommage à celui qui, plus qu'un peintre, fut un symbole d'un certain art de vivre, d'une esthétique épicurienne plongeant ses racines dans une tradition de douceur, d'ouverture sur le grand large, de légendes partagées, et d'ancrage dans un patrimoine revendiqué. Que dire de Jellal Ben Abdallah qui n'ait déjà été dit, sinon que rarement timing aura été si bien décidé par le sort en ce jour où Sidi Bou Saïd profané voit encenser celui qui a toujours été le chantre du village sacré et qui a drainé, autour de et de par sa vocation de peintre du village, artistes et esthètes, penseurs et poètes du monde entier ? Pour le reste, laissons la parole à Amin Bouker le soin de le dire. A priori, rien ne semblait destiner ce jeune et brillant médecin à écrire un ouvrage sur la peinture. Et pourtant, ceux qui le connaissent bien n'ignorent rien de sa passion pour l'art et de sa profonde amitié, par-delà les générations, avec Si Jellal. Seul à avoir le droit de pénétrer dans le saint des saints, l'atelier de l'artiste avec lequel il partage une passion commune, les échecs, il avait déjà pris l'initiative d'organiser une exposition des œuvres inconnues du peintre, il y a quelque temps. Un petit catalogue accompagnant cette exposition, avait laissé ses inconditionnels sur leur faim. En effet, depuis le livre réalisé par les éditions Cérès sur Jellal Ben Abdallah il y a de cela près de trente ans, rien n'avait été fait sur le peintre, et ce rien devenait assourdissant. Encore fallait-il convaincre l'artiste — qu'il est difficile de distraire de son travail — de se plier à la discipline que demande l'élaboration d'un ouvrage qui doit pratiquement être un catalogue raisonné. Seul Amin Bouker, par son affection filiale, sa connaissance parfaite de son œuvre, sa passion et sa patience, pouvait atteindre ce but. Il fallut, d'abord, une véritable enquête policière pour retrouver trace des tableaux chez les différents collectionneurs de cette œuvre colossale, s'étalant sur près de soixante-dix ans, car rarement peintre fut aussi prolifique. Il fallut aussi aller fouiller dans les placards, les archives, les souvenirs de Si Jellal, pas toujours coopératif «quant à son quant à soi». Il fallut aussi — et ce n'était pas évident — trouver le relais technique capable de produire fidèlement ce rêve sans le défigurer. Il fallut de nombreuses étapes, un vrai parcours du combattant, pour que voie le jour ce livre, digne hommage à une carrière exceptionnelle, et à une vie sous forme d'œuvre d'art. Pour le reste, laissons la parole à Amin Bouker. Le livre sera dans les librairies cette semaine.